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tinuent leurs négociations occultes avec la Cour de Vienne. Ils étaient misérablement dupes de Marie-Antoinette qui leur laissait croire qu’elle approuvait leur suprême tentative conciliante, et qu’elle ne demandait aux souverains que d’assurer l’application honnête de la Constitution. Le 7 juin, Marie-Antoinette écrit à Fersen :

(En chiffre). Mes constit. (les constitutionnels) font partir un homme pour Vienne, il passera par Bruxelles ; il faut prévenir M. de Mercy de le traiter comme s’il était annoncé et recommandé par la Reine, de négocier avec lui dans le sens du mémoire que je lui ai remis. On désire qu’il écrive à Vienne pour l’annoncer, … et dire qu’on se tient au plan fait par les cours de Vienne et de Berlin, mais qu’il est nécessaire de paraître entrer dans les vues du constitutionnel et de persuader surtout que c’est d’après les vœux et les demandes de la Reine ; ces mesures sont très-nécessaires.

Dites à M. de Mercy qu’on ne peut pas lui écrire, parce qu’on est trop observé. »

(En clair). « Voilà la situation de vos affaires avec Boscary et Chol, dont je vous ai appris la faillite dans ma dernière lettre. J’attends des nouvelles de la Rochelle pour vous mander où vous en êtes avec Daniel Gareché et Jacques Guibert ; ce que je sais, c’est que leur faillite n’est pas très-considérable. Vous auriez mieux fait, comme je vous l’avais conseillé, d’acheter du bien du clergé que de placer vos fonds chez des banquiers. Si vous voulez, je placerai de cette manière ceux qui vont vous entrer dans le mois prochain. J’ai reçu vos no 7 et 8. »

Quel imbroglio tragique ! Dans de prétendues communications de finance sont insérés les messages de trahison. Et Marie-Antoinette s’acharne à leurrer les constitutionnels : elle avertit qu’on se garde bien de les détromper à Vienne. Il faut qu’ils continuent à croire que le roi et la reine, délivrés par l’étranger, gouverneront avec la Constitution. Ainsi leur illusion amortira sans doute le premier choc donné aux esprits par l’invasion. La reine espère qu’ils entretiendront une sorte d’attente confiante qui favorisera la marche de l’étranger sur Paris. Encore une fois, au moment où le roi et la reine jouent ce jeu si compliqué, pourquoi hésitent-ils à essayer de duper les Girondins comme ils dupent les Constitutionnels ? Pourquoi ne prolongent-ils pas, en sanctionnant les décrets, le crédit révolutionnaire dont ils ont besoin ?

Il se peut que le ton de la lettre de Roland ait paru intolérable à Louis XVI dont la fierté avait de brusques réveils. Il est probable aussi que livrer les prêtres, même par une sanction forcée et toute provisoire, lui apparaissait comme une sorte d’impiété. Enfin, le projet d’un camp révolutionnaire lui apparaissait comme une manœuvre des Girondins pour envelopper le Roi, et l’enlever de Paris.