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tutionnels. L’Espagne est mauvaise, j’espère que l’Angleterre ne sera plus mauvaise. L’impératrice sacrifie vos intérêts pour la Pologne… Tâchez de faire continuer la guerre et ne sortez pas de Paris…

« La tête de l’armée prussienne arrive le 9 juillet. Tout y sera le 4 août. Ils agiront sur la Moselle et sur la Meuse, les émigrés du côté de Philippsbourg, les Autrichiens sur Brisgau. Le duc de Brunswick vient le 5 juillet à Coblentz, quand tout y sera arrivé. Le duc de Brunswick avancera, masquera les places fortes et avec 36.000 hommes d’élite, marchera droit sur Paris… »

Il semble donc que le roi et la reine, selon leur plan de dissimulation et de trahison, n’avaient qu’à baisser la tête, et à sanctionner tout ce que décrétait l’Assemblée, pour empêcher les chocs intérieurs avant l’heure de l’invasion. Autant que le lui permettait la surveillance très étroite qui cernait le château des Tuileries, la reine continuait son manège avec l’étranger. Par l’intermédiaire de Fersen et sous le couvert d’une correspondance d’affaires, elle envoyait aux souverains tous les détails d’ordre politique et militaire qu’en de courtes et tremblantes dépêches chiffrées, elle pouvait faire passer. Le 5 juin 1792, Marie-Antoinette écrit à Fersen :

(En clair). « J’ai reçu votre lettre no 7 ; je me suis occupée sur-le-champ de retirer vos fonds de la société Boscary. Il n’y avait pas de temps à perdre, car la banqueroute a été déclarée hier, et ce matin la chose était publique à la Bourse. On dit que les créanciers perdront beaucoup. — Voici l’état des différents objets que j’ai entre les mains : »

(En chiffre). « Il y a des ordres pour que l’armée de Luckner attaque incessamment ; il s’y oppose, mais le ministère le veut. Les troupes manquent de tout et sont dans le plus grand désordre. »

(En clair). « Vous me manderez ce que je dois faire de ces fonds. Si j’en étais le maître je les placerais avantageusement, en faisant l’acquisition de quelques beaux domaines du clergé ; c’est, quoi qu’on en dise, la meilleure manière de placer son argent. Vous pourrez me répondre par la même voie que je vous écris.

« Vos amis se portent assez bien. La perte qu’ils ont faite leur donne beaucoup de chagrin, je fais ce que je peux pour les consoler. Ils croient le rétablissement de leur fortune impossible, ou au moins très éloigné. Donnez-leur, si vous le pouvez, quelque consolation à cet égard ; ils en ont besoin ; leur situation devient tous les jours plus affreuse. Adieu. Recevez leurs compliments et l’assurance de mon entier dévouement. »

Chose curieuse, et qui atteste chez les modérés, chez les « constitutionnels » une imprudence et une inconscience voisines de la trahison ! Même après la déclaration de guerre à l’Autriche, même en juin, ils con-