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du trône ; je sais aussi que c’est parce qu’il ne s’y fait presque jamais entendre que les révolutions deviennent nécessaires ; je sais surtout que je dois le tenir à Votre Majesté non seulement comme citoyen soumis aux lois, mais comme ministre honoré de sa confiance, ou revêtu de fonctions qui la supposent. »

C’était un coup de feu tiré à bout portant sur le roi et sur la royauté. La lettre le rendait responsable de toutes les agitations ; et, si le roi ne cédait pas, elle légitimait toutes les violences. Roland, qui a signé cette lettre, Mme Roland qui l’a écrite, eurent-ils un moment l’illusion qu’elle agirait sur l’esprit du roi ? En ces termes abrupts, elle ne pouvait guère que l’exaspérer. Aussi les Roland l’avaient-ils écrite surtout pour dégager leur responsabilité ; ils en gardèrent soigneusement copie pour la publier à l’occasion et pour la convertir en une sorte de manifeste à la France entière.

Mais ce qu’il y a d’étrange et qui caractérise bien l’orgueil étroit, l’esprit de coterie qui rapetissaient toute l’action girondine, c’est que les Roland, en cette lettre solennelle, n’oublient pas de dénoncer leurs rivaux. C’est Marat, c’est Robespierre qu’ils qualifient ainsi de démagogistes. C’est Marat, c’est Robespierre qu’avec une hypocrisie impudente ils accusent d’être de connivence avec la Cour.

Vraiment, pouvait-il rien y avoir de plus « démagogiste », au sens où ils l’entendent, et de plus « outré », que leur lettre même ? Quoi ! Voilà un ministre de l’intérieur, gardien de l’ordre public et de la Constitution, qui avertit le roi, par une lettre destinée à la publicité, que s’il ne renonce pas de fait au droit de veto, toute la France indignée se soulèvera contre lui. Il annonce et légitime d’avance la Révolution, l’assaut livré au trône. Il excuse aussi ou même il glorifie les violences que la justice spontanée du peuple, au défaut des lois impuissantes ou paralysées, exerce contre les émigrés et les prêtres factieux ! Il est impossible d’aller plus loin : c’est déjà comme la préface théorique des prochains massacres de septembre. Et le même ministre girondin, qui signe ce manifeste de Révolution et de violence, dénonce l’exagération, l’outrance des « démagogistes ». Évidemment, les Girondins étaient seuls des hommes d’État : ils avaient seuls le sens de la mesure ; et ce qui sous la plume des autres était démagogie, frénésie ou trahison, était sous leur plume modération, sagesse, clairvoyance. À la même minute, Robespierre s’imaginait qu’il portait seul dans sa conscience et dans sa pensée le plan de la Révolution. Ô étroitesse des amours-propres et des égoïsmes dans la grandeur des événements !

Le roi répondit en retirant leur portefeuille à Roland, à Servan et à Clavière : c’était la rupture violente avec la Gironde. Comment Louis XVI s’y décida-t-il ? Évidemment, ce n’est pas de bon cœur qu’il avait appelé au ministère les hommes de la Gironde. Il l’avait fait sans doute pour gagner du