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quel est le parti que conseille une sage politique, sinon de calculer tous les effets possibles des passions et des erreurs humaines ? »

Tout cela est bien vague, et un peu irritant. Car toutes ces objections ne portent pas contre le camp de 20.000 hommes. Elles portent contre tout emploi de la force armée, c’est-à-dire contre la guerre elle-même. Or, à ce moment, elle était déclarée et engagée : et Robespierre ne proposait pas de renoncer à défendre nos frontières. Mais tous les projets de la Gironde étaient suspects et condamnés d’avance.

À vrai dire, celui-ci était à la fois théâtral et incomplet. On cherche vainement à quoi aurait servi ce rassemblement de délégués armés dans un grand péril intérieur ou extérieur. Il semble bien que la Gironde, un peu déçue par les premiers échecs de la guerre, voulait tromper l’énervement du pays par des démonstrations d’apparat. Pourtant l’idée de Servan contenait des germes heureux : c’était, comme nous l’avons dit, appeler déjà la nation que d’appeler une délégation armée de la nation. Et qui sait si l’idée de faire appel à la France pour surveiller la royauté n’a pas suscité le grand mouvement des Marseillais vers Paris, avant le 10 août ?

Il arriva à Robespierre une assez désagréable mésaventure. Juste au moment où il rédigeait contre le projet de Servan cette sorte de réquisitoire filandreux et vague, l’état-major de la garde nationale parisienne se prononça aussi contre le projet. Or l’état-major était « fayettiste ». Il prétendit que les ministres voulaient déposséder la bonne garde nationale parisienne, fidèle à la Constitution et au Roi ; il surexcita l’amour-propre des gardes nationaux parisiens et remit bientôt à l’Assemblée une pétition signée de 8,000 noms. Ainsi Robespierre se trouvait subitement d’accord (au moins quant aux conclusions) avec son ennemi Lafayette, avec celui qu’il dénonçait comme le plus grand danger de la Révolution !

« Au moment où j’écris, ajouta-t-il assez vexé et penaud, l’état-major de la garde nationale parisienne vient de présenter contre le projet que je combats, une pétition fondée sur des motifs diamétralement opposés. » (C’est lui qui souligne.)

« J’en ai conclu que la vérité était indépendante de tous les intérêts particuliers et de toutes les circonstances passagères. J’en appelle au temps et à l’expérience qui, depuis le commencement de la Révolution, m’ont trop souvent et inutilement absous. »

Mais comment sur des « appels » aussi vagues, le temps aurait-il pu prononcer ? Et vraiment, la contrariété que donnait à Robespierre cette rencontre inattendue avec Lafayette ne valait pas cette invocation à l’avenir. Quel amour-propre irritable et souffrant !

Et voici que sans mesure et lourdement, le Patriote français accuse Robespierre d’être le complice de la contre-révolution. C’est Girey-Dupré qui écrit : mais il était l’homme de Brissot.