Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/428

Cette page a été validée par deux contributeurs.

renoncent pas à la ligue qu’ils ont formée contre lui. Je périrai, s’il le faut, pour défendre sa cause ; lui seul aura mes derniers vœux ; lui seul les mérite ; ses lumières et son courage l’ont tiré de l’abjection et du néant ; ses lumières et son courage le rendront éternel. »

Quelle puissance et quelle habileté politique ! Avec quel soin Danton essaie de rallier à lui la classe moyenne, de désarmer les rancunes de la bourgeoisie modérée, amie de Lafayette, que si souvent il avait attaqué ! Et comme en même temps il réserve la liberté de mouvement du peuple ! Il dit avec tant de force que si une Révolution nouvelle éclate, ce ne sera pas pour réaliser de parti pris « une théorie abstraite de la liberté », c’est-à-dire la République, mais pour répondre à la perfidie du pouvoir, que la bourgeoisie timide est ainsi induite à accepter l’éventualité d’un mouvement populaire comme une irrésistible nécessité.

Danton est sincère quand il dit qu’il ne veut pas, par esprit de système, renverser la Constitution. Il est sincère quand il proclame que, si elle veut, la royauté constitutionnelle peut durer des siècles ; et peut-être, avant de se jeter dans les orages et les risques d’une Révolution nouvelle réservait-il, en sa conscience et en sa pensée, cette suprême chance. Mais il n’endort pas son esprit en cette hypothèse : il reste éveillé pour les luttes probables, il avertit seulement les timides qu’en lui la force de la raison réglera toujours la véhémence de la passion.

Le journal de Prudhomme s’étonne et se scandalise un peu de cette façon de parler de soi-même ; et il y avait, en effet, chez Danton, un peu de fanfaronnade et de vantardise, un besoin de triompher de sa force. Mais chez lui, aussi, cette vanterie était calcul. En cette période incertaine et hésitante de 1792 il sentait que pour rallier les volontés éparses et les événements confus il fallait une grande affirmation, et même une ostentation d’énergie et de puissance.

Sous sa forme correcte et modérée, ce discours de février était un manifeste de Révolution. Danton signifiait aux foules : Me voici. Il évita, en mars, avril, mai, de s’engager à fond et de se compromettre dans la querelle entre les Girondins et Robespierre. Il déclara un jour aux Jacobins qu’avant d’entreprendre la guerre au dehors, il fallait vaincre les ennemis du dedans. Mais il ne mena pas contre la guerre la campagne systématique de Robespierre. Il évita d’attaquer les Girondins, mais leur âpreté calomnieuse contre Robespierre le rebutait, et il s’écria un jour, avec colère, qu’il fallait en finir avec ce système d’outrages et d’insinuations contre les meilleurs serviteurs de la patrie.

Évidemment, il avait jugé la Gironde : il la savait inconsistante et vaniteuse. Il pressentait que, par lui, Danton, aboutiraient les événements engagés par elle. Et il ne voulait se laisser prendre au piège d’aucune coterie. Il réservait sa force libre et entière pour les grands mouvements qu’il prévoyait :