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emplois ? Ils devraient, pour le bien de la patrie, les occuper tous. » Éternelle et fastidieuse querelle. Demain, c’est Mme Roland, la girondine, qui reprendra contre Danton le reproche que Robespierre adresse maintenant à Brissot. Elle lui fera un crime d’avoir été chercher dans les clubs, parmi les révolutionnaires ardents, les serviteurs de la Révolution, d’en avoir peuplé les ministères, les administrations, les armées.

Mais, dans ses querelles avec Brissot, Robespierre n’oubliait pas la contre-révolution. Ou plutôt, par un coup de génie, par une merveille de clairvoyance et de haine il avait trouvé moyen de frapper tout à la fois la contre-révolution et la Gironde. C’était de frapper Lafayette. Lafayette était, à cette date, le vrai chef des Feuillants. Il en était la dernière popularité ; il en était l’épée. On savait qu’il voulait interpréter la Constitution dans son sens le plus modéré, qu’il considérait comme factieux tous ceux qui voulaient élargir le droit de la Nation aux dépens de la prérogative royale. Et comme il avait gardé quelque crédit auprès des gardes nationales du royaume longtemps commandées par lui, il était la ressource suprême du modérantisme. Peut-être eût-il été redoutable aux démocrates s’il avait pu concerter son action avec la Cour. Mais la Cour se défiait de lui. Et elle avait d’ailleurs le projet non d’interpréter dans un sens modéré la Constitution, mais de la renverser à la faveur de la guerre.

Ainsi, Lafayette, entre la démocratie et la Cour, était isolé, et sa puissance vraie se resserrait tous les jours. Mais il apparaissait encore comme le grand obstacle à l’élan de la démocratie révolutionnaire. Et en l’attaquant tous les jours, en le dénonçant, en le discréditant, Robespierre ouvrait les voies à la Révolution. Mais il atteignait en même temps par ricochet la Gironde. Certes, entre la Gironde et Lafayette il y avait eu toujours hostilité violente, et c’est à faux que Robespierre accusait Brissot d’avoir été le complaisant, le familier de Lafayette. Mais la Gironde était au pouvoir, et Lafayette commandait une armée. La Gironde, quoiqu’elle occupât le ministère, n’était ni assez forte ni assez audacieuse pour renouveler le haut personnel militaire. Elle maintenait à la tête des armées Rochambeau, Luckner, Lafayette désignés par Narbonne. Et à vrai dire, à ce moment, le pays n’aurait pas eu confiance en des noms nouveaux ; les événements militaires, encore médiocres et incertains, ne suscitaient pas de jeunes chefs. La gloire n’avait pas encore la rapidité de la foudre. Aussi Robespierre pouvait solidariser la Gironde et Lafayette, comme un peu plus tard, et avec une bien plus terrible efficacité, il solidarisera la Gironde et Dumouriez.

Le début des hostilités avait été malheureux. Dans une marche sur Tournai, une division de Rochambeau s’était heurtée étourdiment aux troupes autrichiennes, et nos soldats avaient fui. Se croyant trahis, ils avaient tué un de leurs officiers, Dillon, et ce premier revers mêlé d’indiscipline avait vivement ému les esprits. Les Girondins, qui avaient annoncé l’écrasement facile