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LE DIX AOÛT.

Cette guerre, la Gironde, comme nous l’avons vu, l’avait déclarée ou tout au moins précipitée dans la pensée de dominer la royauté. Mais le ministère girondin n’avait aucun plan précis, et il s’en faut qu’il ait travaillé systématiquement au renversement de la monarchie et à l’avènement de la République. Dumouriez, comme je l’ai indiqué déjà, se plaisait plutôt à un état compliqué et ambigu où ses ressources d’adresse et d’intrigue avaient toute leur valeur. Son rêve était de s’imposer à tous les partis par l’éclat de la victoire sur l’Autriche et de jouer ensuite entre la Révolution et le roi un rôle de courtier où il recevrait de toutes mains. Les Roland, j’entends le ministre et sa femme, n’avaient pas de grandes vues audacieuses. Roland était surtout un administrateur méticuleux, ombrageux : il était préoccupé de sauvegarder sa dignité plébéienne, et la mettait à de petites choses, comme de paraître au conseil des ministres avec des souliers sans boucles qui effarouchaient tous les gardiens du protocole. Il appliquait à la Révolution ses qualités et ses défauts d’inspecteur des manufactures, et il ne tardera pas à s’offenser de ce que le mouvement populaire, en ces temps d’effervescence, avait d’irrégulier.

Très sobre et de peu de besoins, prenant son austérité un peu chagrine pour la seule forme de la vertu révolutionnaire, il était plutôt l’homme des restrictions et des censures moroses que l’homme des impulsions audacieuses. Au demeurant, bien loin de préparer la République, il était plus touché et flatté qu’il ne voulait en convenir par l’apparente bonhomie du roi qui interrogeait familièrement ses ministres sur les affaires de leur ministère et semblait s’y intéresser. Mme Roland raconte qu’elle était obligée de mettre son mari et les autres ministres en garde contre les surprises de la sensibilité. Mme Roland n’avait pas de plan plus précis. C’était une âme stoïque et un peu vaine, avec des facultés vives et assez hautes, mais de peu d’étendue. Elle avait grandi dans une famille de petite bourgeoisie artisane où sa sensibilité ardente se heurtait de toute part à des limites et à la médiocrité de la vie. Son père, assez bon homme, s’était laissé aller à des désordres qui affligeaient et humiliaient sa fille. Il y eut ainsi en elle, de bonne heure, une habitude de refoulement, et c’est avec une grande exaltation qu’elle cherchait dans des lectures héroïques ou touchantes, dans Plutarque et dans Rousseau, une diversion et un réconfort.

Elle portait toujours dans son esprit le type des héros antiques, et elle avait appris de Rousseau à aimer la nature en ses mélancolies, à goûter « les voluptés sombres » du crépuscule, à contempler de sa fenêtre des quais de la Seine « le vaste désert du ciel ».

Mariée de bonne heure et par raison à Roland, vieux, jauni et triste,