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sactions et contrats et qu’on ne peut l’abolir sans ébranler tout le système social. « Messieurs, croyez-vous que sous le prétexte de rechercher l’origine du droit, en remontant à une époque reculée et ténébreuse, il vous soit permis de détruire aujourd’hui l’effet de tant de contrats sur lesquels repose la fortune d’une foule considérable de citoyens ? Le résultat funeste d’une telle injustice serait de porter le trouble et la désolation dans les familles et d’opérer la ruine totale d’un grand nombre, car je pourrais vous citer plusieurs exemples de différents particuliers, dont toute la part héréditaire a été composée de revenus provenant uniquement des droits fixes et casuels. Oui, Messieurs, votre loyauté me persuade que vous vous empresserez de rejeter une mesure aussi révoltante. J’oserai même dire qu’elle excède vos pouvoirs.

« En effet, dans tous les temps et dans toutes les circonstances, la nation par elle-même ou par ses représentants spécialement délégués a sans doute le droit imprescriptible de changer la forme de son gouvernement, et de détruire toutes les lois politiques qui en règlent les diverses parties, mais ce serait renverser les premiers principes du contrat social que d’étendre ces droits aux lois civiles qui déterminent les propriétés particulières. Car alors, la propriété ne serait qu’illusoire, puisqu’elle dépendrait des révolutions périodiques des empires et l’on sait que la stabilité, la sûreté et la conservation des propriétés est une des bases essentielles de toute société politique. »

L’Assemblée était profondément troublée par cet appel de Deusy au droit supérieur de la propriété, et à vrai dire il était malaisé aux révolutionnaires de la bourgeoisie de lui répondre. Au fond, il n’y avait qu’une réponse valable : « Oui, toute propriété est précaire ; oui, toute propriété est une forme transitoire de l’activité sociale ; mais une forme de propriété ne peut être abolie que parce qu’elle est en contradiction avec les besoins nouveaux de la Société ; la forme féodale de la propriété est surannée aujourd’hui et dangereuse : nous la supprimons ; nos arrière-neveux supprimeront à leur tour les formes de propriété qui nous paraissent légitimes aujourd’hui, si le changement général des conditions sociales rend ces formes de propriété malfaisantes. »

Mais parler ainsi, c’était mettre la propriété bourgeoise dans le devenir, c’était jeter le droit bourgeois dans le courant de l’histoire ; et ils voulaient en faire le roc éternel. Aussi éludaient-ils les objections de Deusy plutôt qu’ils n’y répondaient.

Mailhe est celui qui osa le plus nettement affirmer qu’au fond, c’est dans un intérêt politique, dans l’intérêt de la Révolution que les droits féodaux devaient être abolis sans indemnité. Le 9 juin, trois jours avant le grand discours conservateur de Deusy, il avait essayé de démontrer historiquement « l’usurpation » féodale. Mais enfin il conclut : « Les ci-devant seigneurs se plaindront sans doute, mais de quoi ne se plaignent-ils pas ?

« Vous serez absous par les bénédictions des quatre-vingt-dix-neuf cen-