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même, qui oblige celle-ci à éprouver sans cesse les fondements, mêmes de tout l’ordre social qui se prétend appuyé sur elle.

Mais il ne suffit pas de rappeler la Déclaration des Droits de l’homme à ses origines morales ; il ne suffit pas de la confronter avec les principes de dignité, de liberté dont elle est une expression déterminée ; il faut prévoir que des applications nouvelles pourront être faites, et à l’infini, des mêmes principe. Et pour que l’État puisse aisément permettre jusque dans l’enseignement public la propagation de vérités nouvelles, pour qu’il puisse respecter la liberté, sans avoir l’air de se désavouer lui-même, c’est par l’intermédiaire de la société nationale des sciences et des arts se recrutant elle-même que la nation, selon Condorcet, doit désigner les maîtres de l’enseignement supérieur.

« Cette indépendance de toute puissance étrangère où nous avons placé l’enseignement public ne peut effrayer personne, puisque l’abus serait à l’instant corrigé par le pouvoir législatif, dont l’autorité s’exerce immédiatement sur tout le système de l’instruction… L’indépendance de l’instruction fait, en quelque sorte, une partie des droits de l’espèce humaine. Puisque l’homme a reçu de la nature une perfectibilité dont les bornes inconnues s’étendent, si même elles existent, bien au delà de ce que nous pouvons concevoir encore, puisque la connaissance de vérités nouvelles est pour lui le seul moyen de développer cette heureuse faculté, source de son bonheur et de sa gloire, quelle puissance pourrait avoir le droit de lui dire : Voilà ce qu’il faut que vous sachiez, voilà le terme où vous devez vous arrêter ? Puisque la vérité seule est utile, puisque toute erreur est un mal, de quel droit un pouvoir, quel qu’il fût, oserait-il déterminer où est la vérité, où se trouve l’erreur ?

« D’ailleurs, un pouvoir qui interdirait d’enseigner une opinion contraire à celle qui a servi de fondement aux lois établies, attaquerait directement la liberté de penser, contredirait le but de toute institution sociale, le perfectionnement des lois, suite nécessaire du combat des opinions et du progrès des lumières…

« D’un autre côté, quelle autorité pourrait prescrire d’enseigner une doctrine contraire aux principes qui ont dirigé les législateurs ?

« On se trouverait donc nécessairement placé entre un respect superstitieux pour les lois existantes, ou une atteinte directe qui, portée à ces lois au nom d’un des premiers pouvoirs institués par elles, pourrait affaiblir le respect des citoyens ; il ne reste donc qu’un seul moyen : l’indépendance absolue des opinions dans tout ce qui s’élève au-dessus de l’instruction élémentaire. C’est alors qu’on verra la soumission volontaire aux lois et l’enseignement des moyens d’en corriger les vices, d’en rectifier les erreurs, exister ensemble, sans que la liberté des opinions nuise à l’ordre public, sans que le respect pour la loi enchaîne les esprits, arrête le progrès des lumières, et