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où toutes les énergies mettraient leur empreinte, où tous les siècles restés chauds mettraient leur flamme.

De même qu’en cette période la Révolution bourgeoise se limitait par le privilège des citoyens actifs, mais, cependant, en appelant des millions d’hommes à la souveraineté, confinait à la vie populaire, de même la conception littéraire et linguistique de Talleyrand déterminait à un contenu bourgeois le sens des mots politiques, mais elle accueillait la grande vie fourmillante, populaire et passionnée des temps nouveaux. L’édifice un peu froid de la Constitution de 1791 s’illuminait des feux réverbérés de toute part par la passion révolutionnaire ; il s’éclairait aussi des reflets lointains de la liberté antique, des chaudes couleurs de la Renaissance française, des splendeurs vigoureuses de Shakespeare, des lueurs de mélancolie et de rêve de l’Allemagne de Werther.

L’aube qui éclairait le faîte des libertés nouvelles avait traversé tant d’horizons, que le plus simple de ses rayons se décomposait à la rencontre des âmes agitées, en nuances ardentes et infinies. Talleyrand, en une vision à la fois ordonnée et éclatante, a combiné le classique et le romantique. Son rapport est comme un manifeste littéraire étrangement vaste, parce qu’il porte en lui toute la force de la Révolution, diminuée, il est vrai, des principes de la démocratie absolue.

Il est sollicité à la fois, pour la langue de la Révolution, par les deux tendances en apparence contraires qui se sont disputé d’ailleurs la Révolution toute entière : le besoin de l’universalité humaine, le besoin de l’ardente vie nationale. Il rêve, après Leibnitz, d’une langue universelle qui établirait entre tous les hommes une communication aisée, et il veut en même temps accumuler dans la langue française et sous la discipline de son génie propre, toutes les richesses des autres peuples, richesses de mots, de sensations et d’images, fondues et transformées au creuset national.

Talleyrand conçoit l’histoire comme un enseignement, comme un exemple : et par là il la simplifie en effet et l’organise. Il la ramène à l’étude des moyens par lesquels peut être défendue ou préparée la liberté, et ainsi, en une ordonnance toute morale, la longue chaîne des événements est rattachée, et suspendue comme à un aimant, à la Déclaration des Droits de l’homme. « La Société doit enfin exciter l’homme par l’exemple, et ce moyen puissant, c’est à l’histoire qu’elle doit le demander, car l’orgueil de l’homme se défendra toujours de le demander à ses contemporains. Quelle histoire sera digne de remplir cette vue morale ? Aucune sans doute de celles qui existent ; ce qui nous reste de celle des anciens nous offre des fragments précieux pour la liberté, mais ce ne sont que des fragments ; ils sont trop loin de nous, aucun intérêt national ne les anime, et notre long asservissement nous a trop accoutumés à les ranger parmi les fables. La nôtre, telle qu’elle a été tracée, n’est presque partout qu’un servile hommage décerné à des