Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/384

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Barnave, et dans le dictionnaire même, « terminer la Révolution ». Tentation puérile ; il est aussi impossible de fixer au fond des mots le premier sens qu’ils expriment que de fixer au fond des eaux la première image qu’elles reflètent ; dans le torrent des mots révolutionnaires, le reflet incertain du prolétariat commençait à brouiller le superbe et glorieux reflet de la pensée bourgeoise.

Mais quelle confiance avait celle-ci en elle-même, en la rectitude de ses principes et en la sûreté des premières applications qu’elle en avait faites. Talleyrand, au nom de la Constituante, proclame qu’il suffirait de définir les mots et d’en chasser l’équivoque pour enfermer les idées, les esprits, les événements même dans le sens premier que déterminaient les Constituants.

Talleyrand, au moment même où il marquait ces restrictions bourgeoises et où il se préparait à exclure de notre langue ce que j’appellerais volontiers le sens robespierriste, témoignait aussi le même éloignement pour l’esprit d’aristocratie et d’ancien régime. Tous les tours de servitude, d’inégalité, de privilège devaient disparaître, en même temps que devait être exclue des mots toute tendance de démagogie.

L’équilibre de la Constitution de 1791, distante à la fois de l’esprit de caste et de la pleine démocratie devait se marquer dans la langue, dans sa syntaxe, d’où toute trace de servitude devait être exclue ; dans son vocabulaire, d’où toute racine de démagogie devait être extirpée. Étrange prétention d’immobiliser une langue éternellement fluide, dans une Constitution d’un jour et déjà menacée !

Mais pour atteindre à cette détermination du sens des mots, pour donner à chacun d’eux une signification exacte qui ne permette ni les restrictions de la tyrannie, ni les extensions abusives de la démagogie, il faut limiter le plus possible le nombre des mots. Comment sans cela discipliner, ordonner une multitude innombrable de synonymes équivoques, de mots indéterminés ?

« La vraie richesse d’une langue consiste à pouvoir tout exprimer avec peu de signes. » Il semble que nous entendons déjà la vaste proscription de ces mots pressés, tumultueux, que le romantisme réintégrera et rappellera, à grands flots, clientèle pittoresque et bariolée, sous les avancées de ses maisons moyen âge, ou sous les porches de ses cathédrales. Il semble que Talleyrand donne ici le signal de la lutte qui, plus tard, s’engagera entre le classicisme révolutionnaire et le romantisme d’abord rétrograde. « Le romantisme est vaincu ! » s’écriera le classique Blanqui, déposant son fusil un soir des journées de juillet 1830.

Et voici sans doute des disciples de Taine qui s’empressent de noter que la Révolution est un suprême effort d’idéologie abstraite et qu’elle achève dans la langue, dans les idées et dans les institutions le travail de simplification et d’appauvrissement commencé par l’esprit classique. Qu’on ne se hâte