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Peut-être Talleyrand prend-il trop aisément son parti de cette destruction. Même les erreurs de l’esprit humain sont utiles à connaître. Il n’est pas sage d’effacer les traces embrouillées, incertaines et errantes qui marquaient la longue marche de la pensée cherchant le vrai. Des œuvres les plus ineptes et les plus médiocres l’esprit sagace sait extraire parfois une parcelle de vie. Même les ratures doivent être conservées dans le livre toujours remanié, toujours surchargé, de la pensée humaine, comme, sur le manuscrit d’un grand écrivain, elles révèlent le tâtonnement de l’idée, l’inquiète recherche de la forme idéale. Il faut des livres substantiels et rapides qui rendent aisément communicable et assimilable à tous le savoir humain. Il faut que les intelligences éprises de vérité et de beauté, sachent se créer à elles-mêmes une bibliothèque de choix et comme un cercle familier de chefs-d’œuvre d’où le médiocre et le bas seront exclus. Mais il convient aussi que dans l’énorme détritus des siècles les courageux chercheurs puissent toujours fouiller. Ce qui paraissait hier insignifiant ou vil à l’esprit distrait suggère brusquement une vérité nouvelle. Mais le génie conquérant de la Révolution se marque bien dans ces pensées de Talleyrand. Il veut, si je puis dire, armer et équiper à la légère l’Encyclopédie pour qu’elle puisse aller dans tous les esprits, pratiquer tous les sentiers, entrer même aux pauvres demeures, avec le vif éclair et le joyeux cliquetis des vérités simples et aiguës.

La méthode lui apparaît, dans l’enseignement, comme un moyen de simplification et comme un moyen de liberté. Simplifier les problèmes par l’élimination de l’inutile, les déterminer par une analyse exacte, c’est permettre à tous les esprits de marcher eux-mêmes par les voies redressées et aplanies, qui ont abouti aux grandes découvertes ; c’est donc, par le perfectionnement même de la tradition, faire recommencer la vérité à chaque esprit, c’est donner aux générations nouvelles, avec la force du savoir accumulé, la joie de l’invention appliquée même à ce que déjà l’on sait.

« C’est aux méthodes à conduire les instituteurs dans les véritables routes, à aplanir pour eux, à abréger le chemin difficile de l’instruction. Non seulement elles sont nécessaires aux esprits communs, le génie le plus créateur lui-même en reçoit d’incalculables services et leur a dû souvent ses plus hautes conceptions ; car elles l’aident à franchir tous les intervalles, et en le conduisant rapidement aux limites de ce qui est connu, elles lui laissent sa force pour s’élancer au delà. Enfin, pour apprécier d’un mot les méthodes, il suffira de dire que la science la plus hardie, la plus vaste dans ses applications, l’algèbre, n’est elle-même qu’une méthode inventée par le génie pour économiser le temps et les forces de l’esprit humain… »

Mais ce n’est pas là une simplification mécanique, et il ne s’agit pas de créer une sorte d’automatisme intellectuel. Pour donner à l’esprit, dès l’enfance, « cette constante direction vers la vérité qui devient alors la passion dominante et presque exclusive de l’âme, il importe souverainement d’inté-