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rallier à la Révolution toutes les forces, tous les dévouements : et, c’est sans doute cette pensée qui avait décidé le Comité féodal.

Tous les jours l’agitation des campagnes se faisait plus vive et en dehors des documents particuliers, des pétitions et plaintes que publie M. Sagnac pour les mois d’avril, de mai 1792, j’en trouve la preuve décisive dans un discours de Roland lui-même, alors ministre de l’Intérieur, qui, sous une forme bien incertaine encore et avec des réserves significatives mais au nom de l’ordre public, demande à l’Assemblée de prendre enfin un parti. « Les droits féodaux, dit-il à la tribune le 16 avril, sont une autre source d’inquiétude et de mécontentement ; cette matière a toujours paru délicate aux législations ; il importe cependant de prendre une mesure générale qui tempère l’effervescence des esprits, et qui, sans blesser la justice, accorde quelque chose aux malheurs de ceux qui souffrent depuis des siècles ; il ne m’appartient pas de rien indiquer, mais je dois faire connaître la nécessité des mesures. »

Cet appel de Roland, ce cri d’alarme ne suffit point à vaincre la résistance de l’esprit de propriété, et quand, en juin, le projet du Comité vint en troisième lecture, il eut à subir les plus fortes attaques. Le modéré Deusy, soutenu par les vifs applaudissements de plus de la moitié de l’Assemblée, le soumit à la plus vigoureuse critique. Il opposa son système historique des origines féodales à celui du Comité. Selon Deusy, le mot de féodalité recouvrait des institutions très diverses. Il y avait pour ainsi dire trois sources, situées à des profondeurs diverses, des obligations féodales. Il y avait d’abord une survivance de l’esclavage antique manifestée par des droits personnels qui livraient l’homme à l’homme.

Tout ce qui provenait de cette source ancienne de servitude devait être supprimé sans indemnité et l’avait été en effet par la Constituante. Il y avait ensuite des usurpations, comme le droit de justice, de patronage, etc., commises par le seigneur sur la puissance publique, et quand la puissance publique reprenait les pouvoirs usurpés sur elle, elle ne devait aucune indemnité.

Enfin, il y avait des obligations résultant d’un contrat : il y avait des droits féodaux qui représentaient une concession primitive de fonds, et ceux-là, comment pourrait-on les abolir sans toucher à la propriété elle-même aussi sacrée sous cette forme que sous toute autre ?

D’ailleurs Deusy démontrait que les seigneurs avaient usurpé non pas précisément les droits féodaux, mais la propriété même des fonds et il demandait à l’Assemblée si elle aurait l’audace d’abolir les propriétés mêmes. « Si donc il fallait dire avec le Comité que le vice originaire d’un droit en commande impérieusement la destruction lors même que les lois existantes l’ont toujours regardé comme un droit de propriété ; si, dis-je, il fallait adopter ce principe inconstitutionnel et destructeur de toute société, il faudrait pour être conséquent et en faire une juste application d’après les faits, non pas en