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l’affirmation de la force élémentaire de la vie et de l’universel instinct de conservation. Peut-être y a-t-il quelque chose de factice et comme une contrefaçon juridique du fait social à dériver d’un contrat le droit de l’homme en société. Car même si les faibles se livraient à la société sans condition, même s’ils étaient prêts, par je ne sais quel prodige de passivité, à tout accepter, l’extrême misère, la faim, la mort même, plutôt que de se soustraire au lien social, le droit de l’homme subsisterait en eux et, même renié par les victimes, il protesterait encore contre l’iniquité.

Mais les légistes révolutionnaires, nourris d’ailleurs de Rousseau, donnaient volontiers au droit humain la forme contractuelle. Ou plutôt, après avoir affirmé le droit de l’homme antérieur et supérieur à la société, ils développaient une nouvelle sphère de droits, ceux qui, dans la société même, naissent d’un contrat, et ce droit social contractuel a pour premier article : le droit de tous à la subsistance. À vrai dire, l’intérêt substantiel est de savoir quelles sont, à un moment déterminé, les conditions irréductibles faites par les hommes dans ce contrat supposé. Et il est bien clair que les exigences des individus les plus faibles grandissent à mesure que grandit leur force. Le contenu même du contrat est donc nécessairement variable, le contrat entre les diverses classes sociales ou, pour employer le langage du xviiie siècle, le contrat entre les individus et l’État, est soumis à perpétuelle revision à mesure que se modifient les rapports entre les classes sociales ou entre les individus, et cette revision du contrat, implicite comme le contrat lui-même, doit aboutir de période en période à des révolutions capitales où des formes juridiques nouvelles expriment des rapports de forces nouveaux. Ainsi pouvons-nous adapter même au mouvement socialiste et aux revendications prolétariennes la théorie légiste et bourgeoise du contrat social.

Dès la première application du contrat social au problème de la misère, en 1792, il y a incertitude et flottement. Car tantôt le rapporteur parle de « l’existence » du pauvre, et tantôt de sa « subsistance ». Or, le droit à « l’existence » est tout autre chose que le droit à la « subsistance ». Le droit à l’existence, à la vie, implique la sauvegarde et le développement de toutes les facultés, de toutes les forces qui sont dans un individu. Le droit à la subsistance implique seulement l’exercice des fonctions de nutrition. Cela est beaucoup quand on songe aux temps où les foules se résignaient à mourir de faim et où l’État considérait comme de son droit de les laisser, en effet, mourir de faim. Mais cela est misérable en regard du plein idéal humain et du plein sens de la vie.

Le Comité proclame : « C’est un axiome que tout homme n’a droit qu’à sa subsistance. » Et cela est impossible à défendre : tout homme a droit à toute la part d’humanité, c’est-à-dire d’action et de joie qu’il peut développer en lui. Ce premier axiome ne signifie qu’une chose, c’est qu’en 1792, la bourgeoisie possédante ne se croyait tenue en effet envers les pauvres qu’à la