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son salut ; c’est que le plus glorieux jour de notre histoire fut celui où il immola, sur l’autel de la patrie, quinze cents citoyens paisibles, hommes, femmes, enfants, vieillards ; bien pénétrés d’ailleurs de cette maxime antique, que le peuple est un monstre indompté, toujours prêt à dévorer les honnêtes gens, si on ne le tient à la chaîne et si on n’a l’attention de le fusiller de temps en temps ; que, par conséquent, tous ceux qui réclament des droits ne sont que des factieux et des artisans de sédition. Ils croient que le ciel créa le genre humain pour les seuls plaisirs des rois, des nobles, des gens de lois et des agioteurs ; ils pensent que de toute éternité Dieu courba le dos des uns pour porter des fardeaux, et forma les épaules des autres pour porter des épaulettes d’or. »

Dans un style étudié et décent, c’est plus violent de ton et plus amer que le père Duchesne. On dirait que la puissance de l’oligarchie bourgeoise qui a éliminé du droit de suffrage et exclu de la garde nationale armée le peuple pauvre, apparaît à Robespierre comme éternelle, tant sa colère est âpre et presque désespérée.

Et pourtant ce peuple qu’on opprime et qu’on avilit en lui refusant les droits accaparés par les riches, est la véritable ressource de la Révolution. « La masse de la nation est bonne et digne de la liberté ; son véritable vœu est toujours l’oracle de la justice et l’expression de l’intérêt général. On peut corrompre une corporation particulière, de quelque nom imposant qu’elle soit décorée, comme on peut empoisonner une eau croupissante : mais on ne peut corrompre une nation par la raison que l’on ne saurait empoisonner l’océan. Le peuple, cette classe immense et laborieuse, à qui l’orgueil réserve ce nom auguste qu’il croit avilir, le peuple n’est point atteint par les causes de dépravation qui perdent ce qu’on appelle les conditions supérieures.

« L’intérêt des faibles, c’est la justice ; c’est pour eux que des lois humaines et impartiales sont une sauvegarde nécessaire ; elles ne sont un frein incommode que pour les hommes puissants qui les bravent si facilement. …Ces vils égoïstes, ces infâmes conspirateurs ont pour eux la puissance, les trésors, la force, les armes ; le peuple n’a que sa misère et la justice céleste. …Voilà l’état de ce grand procès que nous plaidons à la face de l’univers. »

Singulière conception, à la fois démocratique et rétrograde. Oui, il est vrai que dans la société les lois doivent venir au secours des faibles. Elles doivent faire contre-poids à la puissance toujours active de la propriété, de la richesse, de la science subtile et exploiteuse. Mais pourquoi ne pas prévoir une société où il n’y aurait plus « des faibles » ? Pourquoi considérer la richesse comme corruptrice essentiellement, au lieu de chercher à assurer la participation de tous aux forces et aux joies de la vie ? Quoi ! il apparaît à, Robespierre que l’égoïsme de la propriété détourne les privilégiés de la Révolution, leur fait perdre le sens des Droits de l’Homme, et il ne fait pas effort