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sous l’influence des événements, il se développât. La taxation des denrées n’était-elle pas au fond une limitation du droit de posséder, non pas, si je puis dire, en surface, mais en profondeur ?

Dans la pétition des habitants d’Étampes, il y a des ébauches hardies. Le maire d’Étampes, Simonneau, s’étant opposé par la force et au nom de la loi aux paysans qui voulaient taxer les grains, avait été tué par le peuple en fureur. Toute la bourgeoisie révolutionnaire le glorifia comme un martyr de la loi.

Les Jacobins de Paris adressèrent une lettre de respectueuse sympathie à sa veuve. Et une répression violente commença. Sous les coups répétés de la loi, les habitants d’Étampes au désespoir adressèrent une supplique à l’Assemblée ; elle fut rédigée par un curé révolutionnaire, Pierre Dolivier, « curé de Manchamp et électeur », un de ces prêtres de la Révolution qui étaient restés près du peuple et qui, à cette date, et pour quelques mois encore, savent en traduire la pensée. Il explique, en une note curieuse, qu’il est l’interprète fidèle de la conscience populaire.

« On ne manquera pas sans doute d’observer qu’il y a là une philosophie bien au-dessus de la portée des pétitionnaires. À cela le rédacteur répond que s’il s’élève quelquefois au-dessus de leurs conceptions, ce n’est que pour mieux rendre leur véritable vœu et jour se rapprocher des idées des philosophes auxquels il s’adresse. Quoi qu’en disent ceux qui déprisent aujourd’hui ce qu’ils appellent populace, la classe infime du peuple est bien plus près de la philosophie du droit, autrement dit de l’équité naturelle, que toutes les classes supérieures qui ne font que s’en éloigner progressivement. En général, on ne demande fortement justice que jusqu’à soi, et jamais guère pour ceux qui sont derrière. L’amour-propre est même flatté de voir des exclusions et abonde en faux raisonnements pour les justifier à ses propres yeux. C’est ainsi que les conditions pour le droit de vote et pour l’éligibilité qui excluent les trois quarts des citoyens ont trouvé des partisans et des apologistes, c’est ainsi que l’homme dénué sent que, pour que la justice vienne jusqu’à lui, il faut qu’elle soit universelle, ce qui n’existera jamais parmi nous, malgré nos beaux Droits de l’Homme, tant que nous conserverons notre aristocratique mode électoral. »

Marx et Lassalle ont exprimé souvent cette pensée admirable que la révolution prolétarienne serait la vraie révolution humaine parce que les prolétaires ne pourraient invoquer aucun privilège, mais seulement leur titre d’homme. Ce n’est pas une forme de propriété qu’ils feraient prévaloir, mais l’humanité toute pure, l’humanité toute nue, et la propriété nouvelle serait seulement le vêtement de l’humanité.

Quand Dolivier, parlant au nom des paysans et ouvriers de l’Île-de-France, démontre que les plus pauvres sont les vrais interprètes, les vrais gardiens des Droits de l’Homme, parce qu’ils ne sont en effet que des hommes, et qu’en eux