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maximes qu’on lui aura débitées, voudra peut-être exiger ce qu’on ne voudra pas lui accorder ?

«…C’est cependant avec ces idées gigantesques et vides de sens que l’on se promet de séduire les faibles et les ignorants qui sont le grand nombre… Que deviendra la propriété, ce bien si sacré que nos Rois ont déclaré eux-mêmes qu’ils sont dans l’heureuse impuissance d’y porter atteinte ? » On devine ce qu’a pu écrire ce même Séguier, en 1792. Dans son écrit : La Constitution renversée, que la mort interrompit, il commente avec une passion agressive l’article 8 : « La Constitution garantit encore l’inviolabilité des propriétés. »

« Admirable garantie ! Et moi, je prends à témoin toute l’Europe et je garantis le renversement de toutes les propriétés. J’interroge tous les propriétaires et je leur demande quel est celui d’entre eux qui ne tremble pas. Je ne parle point de ces motions séditieuses pour introduire des lois agraires, motions toujours funestes et toujours applaudies, motions qui, chez les Romains, faisaient chérir du peuple celui qui avait l’audace de les proposer, et qui, dans le désordre actuel, obtiendraient à celui qui les proposera l’applaudissement des tribunes, le titre de bon citoyen, de ces hommes qui ne cherchent que le pillage et la ruine des propriétés. »

« Comment pourrait-on compter sur les propriétés dans une crise aussi violente, avec un infernal agiotage, avec une émission incalculable d’assignats et de papiers de toutes sortes, lorsque les colonies sont embrasées et la France menacée du même malheur, lorsque par une foule de décrets les propriétés mobilières sont confisquées, soumises à des formalités inexécutables, longues, etc. ?

« Quelles sont donc les propriétés que la Constitution garantit ? Quels sont les biens qui sont à l’abri des dangers des actes du corps législatif, de la banqueroute depuis longtemps commencée ? La Constitution promet une juste et préalable indemnité lorsque la nécessité publique exigera le sacrifice d’une propriété. Œuvre aussi frustratoire que la première et qu’on a mille fois réclamée sans obtenir justice. Où prendre les indemnités légitimes des pertes que l’on a essuyées, de celles que l’on doit essuyer encore ? Le droit de propriété n’existe plus en France ; ce lien fondamental des sociétés est dissous. Une foule de décrets ont attaqué directement le droit de propriété ; le corps constituant et le corps constitué ne l’ont pas épargné, et l’on ose parler de respect, d’inviolabilité, d’indemnité ? Vos assemblées ressemblent à ce brigand qui s’était fait une loi de ne prendre aux passants que la moitié de ce qu’ils avaient dans leurs poches. Un marchand fut arrêté, il n’avait qu’un écu, le voleur veut lui rendre 30 sous : » Autant vaut-il que vous gardiez tout, lui dit le marchand. » — « Non, Monsieur, je n’ai pas le droit de vous prendre plus de 30 sous ; je ne dois pas, en conscience, garder le reste. » Combien de gens à qui l’Assemblée nationale n’a pas laissé la moitié, le quart