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lière. Qu’on se rende compte que, par l’évanouissement du numéraire, la monnaie, presque toute de papier, et n’ayant plus de valeur intrinsèque, empruntait toute sa valeur du crédit de la Révolution elle-même, c’est-à-dire des opérations de la force nationale ; qu’ainsi le signe de toutes les valeurs, l’instrument de tous les échanges, était lié à l’existence et à l’activité de la nation et communiquait à toutes les propriétés, qui dépendaient de son mouvement, un caractère national.

Qu’on se souvienne que les ouvriers des villes et les paysans, quand ils prétendaient taxer toutes les denrées, contrôler et diviser le fermage, prévenir « les accaparements », intervenaient dans le fonctionnement de la propriété bourgeoise en même temps qu’ils supprimaient la propriété ecclésiastique, la propriété féodale et cette propriété des nobles qui ne différait de la propriété des bourgeois que par le sentiment politique des propriétaires. Qu’on se rappelle enfin qu’à propos des biens communaux et des forêts, une bataille se livrait non seulement entre les intérêts nouveaux et les intérêts anciens, non seulement entre les paysans, revendiquant les communaux usurpés, et les seigneurs, mais encore entre les diverses catégories des intérêts révolutionnaires, et que fabricants, artisans, petits paysans défendaient les forêts nationales contre les prétentions de la propriété capitaliste, envahissante et accapareuse. Qu’on recueille les cris de colère du peuple, les grondements et jurements du père Duchesne contre la nouvelle aristocratie de la richesse et contre les monopoleurs. Et on se demandera, en effet, dans cette sorte d’agitation de tous les intérêts et de toutes les idées, dans ce tremblement universel qui, du sol ébranlé, semble se communiquer à la racine de tous les droits anciens ou nouveaux, quel est le sens et quelle est la force, à ce moment, de l’idée de propriété.

À vrai dire, les contre-révolutionnaires prétendaient qu’elle était perdue, anéantie. Ils ne se bornaient plus à annoncer, comme l’abbé Maury, que l’atteinte portée à la propriété de l’Église serait invoquée comme un précédent contre toute propriété.

En 1776, Séguier, avocat du roi, avait requis devant le Parlement contre la brochure de Boncerf : Les Inconvénients des droits féodaux. Il l’avait dénoncée comme une atteinte à la propriété : « Le système qu’on veut accréditer est encore plus dangereux par les conséquences qui peuvent en résulter de la part des habitants de la campagne, que l’auteur semble vouloir ameuter contre les seigneurs particuliers dont ils relèvent. Il est vrai que ce projet ne se montre point à découvert ; on insinue qu’ils ne peuvent que s’adresser à leurs seigneurs pour demander la suppression et le rachat des droits seigneuriaux, qui ne pourra leur être refusé, si tous les vassaux se réunissent et sont d’accord pour faire les mêmes offres. Mais n’est-il pas sensible que cette multitude assemblée dans les différents châteaux de chaque seigneur particulier, après avoir demandé cette suppression et offert le rachat, échauffée alors par les