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prix, s’il est dû en intégrité, soit pour ce qu’il en reste dû, encore qu’il y eût eu expertise, offre, accord, ou convention, mais ce qui aura été payé ne pourra être répété.

« Article 3. — Pourront cependant les ci-devant seigneurs exiger les dits droits, lesquels continueront d’être rachetables aux termes du décret du 15 mars 1790, lorsqu’ils seront dans le cas de justifier par le titre primitif d’inféodation qu’ils n’ont concédé et inféodé les fonds que sous la condition expresse des dits droits de mutation. »

Voilà la première tentative sérieuse, depuis le décret du 4 août, pour abolir réellement une partie des droits féodaux. C’est sous la pression continue des paysans que cette tentative a été faite. Mais, si partielle et si incomplète qu’elle soit, elle se heurte encore, devant la Législative, aux plus vigoureuses résistances. Un député du Midi, l’habile juriste Dorliac, propose aussitôt une combinaison qui a pour effet d’agrandir mais aussi de tempérer le système du Comité. Dorliac, lui aussi, essaie en une dissertation savante, de démêler les origines historiques de la féodalité. « L’événement qui a donné lieu aux seigneurs de bâtir leur système est celui où les comtes, abusant de la faiblesse des descendants de Charlemagne obtinrent le capitulaire qui rendit les comtes héréditaires, pour ne les soumettre qu’à un droit d’investiture dont ils se dispensèrent bientôt après. Ce furent les usurpations qu’on fit ensuite de l’autorité royale qui firent naître de toutes parts les fiefs, les arrière-fiefs, les vasselages. Ces inventions n’étaient qu’un appui réciproque que se jurèrent entre eux, contre le souverain, une foule de tyrans, qui envahirent ensuite les propriétés, réduisirent le peuple en un état de servitude et anéantirent toutes les lois.

« Ils furent autant de despotes, et se prétendirent les maîtres absolus de ceux dont ils n’étaient auparavant que capitaines ou protecteurs et de tout ce qui était enclavé dans l’arrondissement de leurs seigneuries. »

Étrange philosophie de l’histoire ! Dorliac ne considère pas le système féodal dans l’évolution sociale comme un moment historique. Il y a pour lui une puissance légitime, la monarchie mérovingienne ou carlovingienne, et une puissance usurpatrice, celle des seigneurs. Et la théorie du contrat a une telle puissance sur les esprits de juristes que Dorliac semble tout prêt à reconnaître que les droits féodaux seraient légitimes s’ils représentaient un contrat d’affranchissement, s’ils étaient le prix consenti par des esclaves ou des serfs pour acquérir la liberté. Il conclut en effet une longue étude historique par ces mots : « Tels sont l’origine et les progrès des droits féodaux, ils démontrent combien est fausse la supposition de ceux qui prétendent que tout le peuple fut autrefois l’esclave des seigneurs et qu’il tient d’eux les terres qu’il possède, il en résulte au contraire que la plupart des droits auxquels il a été assujetti sont les fruits odieux de la tyrannie et de la fraude. »

On se demande si, dans la pensée de Dorliac, la France devrait porter