Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout d’abord, le rapporteur Sadillez, organe des modérés, ne proposa qu’une mesure assez anodine : frapper les revenus des biens fonciers des émigrés d’une triple imposition. La gauche se récria. Ce n’est point cela seulement que voulait l’Assemblée : elle voulait que tous les biens des nobles fussent mis sous la main de la nation pour répondre des dépenses de guerre que la trahison des émigrés imposait à la France.

Le Comité, cédant un peu au courant, proposa alors de combiner l’idée du séquestre et celle de la triple imposition. Vergniaud s’écria qu’il n’y avait aucune raison de limiter le droit de la nation sur les revenus et les biens des émigrés. Et l’Assemblée, après avoir émis le 9 février un vote de principe qui mettait les biens des émigrés sous la main de la nation, après avoir commencé le 5 mars l’étude des moyens d’application et entendu le 10 mars l’éloquente adjuration de Vergniaud la priant de faire œuvre décisive, adopta enfin le 30 mars le texte définitif.

« L’Assemblée nationale, considérant qu’il importe de déterminer promptement la manière dont les biens des émigrés qu’elle a mis sous la main de la nation par son décret du 9 février dernier seront administrés, de régler les moyens d’exécution de cette mainmise et les exceptions que la justice ou l’humanité prescrivent, désirant aussi venir au secours des créanciers qui seront forcés de faire vendre les immeubles de leurs débiteurs émigrés, en substituant aux saisies réelles un mode plus simple et moins dispendieux, déclare qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale, après avoir déclaré qu’il y a urgence, décrète ce qui suit :

« Article 1. — Les biens des Français émigrés et les revenus de ces biens sont affectés à l’indemnité due à la nation.

« Article 2. — Toutes dispositions de propriété, d’usufruit ou de revenus de ces biens, postérieure à la promulgation du décret du 9 février dernier, ainsi que toutes celles qui pourraient être faites par la suite tant que lesdits biens demeureront sous la main de la nation sont déclarées nulles.

« Article 3. — Ces biens, tant meubles qu’immeubles, seront administrés de même que les domaines nationaux par les régisseurs de l’enregistrement, domaines et droits réunis, leurs commis et préposés, sous la surveillance des corps administratifs. »

La mesure était rigoureuse. Quand les modérés voulaient frapper seulement le revenu d’une triple imposition, ils entendaient non pas ménager le revenu qui aurait été ainsi absorbé aux trois quarts, mais laisser en dehors de l’opération le fond même. Au contraire, sous l’impulsion des Girondins maîtres du pouvoir depuis le milieu de mars, c’est le fond même, tout comme le revenu, qui est retenu comme garantie de l’indemnité due par les nobles.