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même, qui avait hésité à la résoudre. La Législative avait décrété le 13 décembre que les créanciers de l’État ne pourraient toucher les arrérages de leurs rentes que s’ils faisaient la preuve qu’ils résidaient dans le royaume depuis six mois au moins. C’était le séquestre mis sur une partie des biens mobiliers. Restait la grande question des biens fonciers. Ici encore, comme pour les décrets du 4 août, il semble que ce sont les mouvements spontanés des campagnes qui hâtèrent les décisions de l’Assemblée. Au moment où les paysans voyaient procéder à la vente des biens d’église nationalisés, au moment où ils entendaient dénoncer les nobles émigrés comme des traîtres à la patrie, la tentation devait leur venir naturellement de mettre la main sur les biens de ces traîtres, de se partager leurs terres et les dépouilles du château. Quoi ! ces hommes qui nous ont si souvent opprimés et exploités, qui nous ont volé les biens communaux, qui nous ont accablés pendant des siècles de dîmes et de taxes sont allés à l’étranger, ils se préparent à porter les armes contre la France, contre la Révolution ! Et, vainqueurs, ils appesantiraient de nouveau sur nous l’antique joug ! Ils se serviraient même, pour nous combattre et nous ramener en servitude, du revenu de ces biens que si longtemps, pauvres corvéables, nous travaillâmes pour eux ! Saisissons-les. Peut-être aussi, les paysans se disaient-ils, que si les biens des émigrés étaient nationalisés comme les biens d’église, ils seraient mis en vente, et que seuls les cultivateurs aisés et les riches bourgeois pourraient en acquérir des parties. Ne valait-il pas mieux procéder spontanément à une sorte de répartition ? C’est la crainte de ce mouvement paysan qui amena Lamarque à la tribune le 21 janvier 1792. « La mesure que je vous propose, messieurs, c’est le séquestre des biens de tous les traîtres conjurés contre la Constitution et l’État. Hâtez-vous d’annoncer dans les départements que ceux qui, par leurs complots, auront nécessité la guerre, en payeront les frais, et que les citoyens qui en supporteront les fatigues, doivent en être indemnisés…

«… Et, à cet égard, messieurs, je dois vous faire connaître un fait bien capable de presser votre détermination.

« Dans le département de la Dordogne, il est un district qui, seul, vient de faire fabriquer 3,000 piques, et dont la garde nationale, après avoir ouvert une souscription pour le payement des contributions exonérées, vous envoie dans ce moment une députation chargée de se plaindre de ce qu’on la laisse dans l’inaction et de vous demander, messieurs, qu’on lui ordonne de se réunir incessamment à ses frères d’armes pour la défense de la liberté. Mais dans le voisinage de ce district, quelques habitants des campagnes ont fait, dit-on, une liste de tous les émigrés de leurs contrées et n’écoutant que leur indignation contre ces traîtres, ils menacent au premier signal de piller, de ravager leurs possessions et d’incendier leurs châteaux. »

Lamarque fut interrompu par les murmures violents de l’Assemblée, qui crut qu’il voulait encourager les actes de destruction, et par les applaudisse-