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quelques uns de nos départements où le système des grandes cultures et des gros fermages est établi, demeurent à la campagne et font valoir d’immenses possessions ; de ces cultivateurs fastueux chez lesquels se reproduisent tout le luxe et toutes les superfluités de la capitale ; de ces accapareurs de terrains et de fermages, car je pourrais les appeler de même avec vérité : ce sont les financiers, les agioteurs de la partie agricole ; on retrouve chez eux, avec les avantages de l’éducation citadine et souvent voluptueuse toutes les défectuosités de l’ancien régime, établies principalement sur la vicieuse inégalité des fortunes. Si, d’un autre côté, par leurs grands moyens, ils semblent être les soutiens de l’agriculture, ce n’est qu’une pure illusion, et de l’autre, ils sont évidemment les fléaux de la population et le gouffre des fortunes voisines. De vastes plaines couvertes de moissons, il est vrai, sont autour d’eux, mais nulle chaumière ne s’y rencontre ; point de petits propriétaires ; leurs domestiques et quelques journaliers pauvres et dépendants de ces dieux des campagnes forment toute la population du pays ; ce sont d’autres seigneurs de village ; ils en prennent souvent la hauteur et la plupart des défauts ; ils savent y joindre la théorie financière, les calculs et les spéculations mercantiles, et souvent encore ils étalent plus les vices de ces deux professions qu’ils n’en font tourner les produits à l’utilité commune ; c’est, en quelque sorte, une classe à part dans la grande classe agricole ; ce sont de riches citadins domiciliés des champs ; ce sont les petits despotes des campagnes. »

Et non seulement, en toute cette région qui enveloppe Paris, c’est contre ces gros fermiers que le mouvement est dirigé, mais, comme nous l’avons vu, dans la vente des biens nationaux, la part faite aux bourgeois ou aux gros fermiers eux-mêmes est particulièrement élevée dans les départements qui entourent la capitale. De là, contre tout le capitalisme, installé en souverain dans ces riches plaines à blé, un mécontentement très vif des petits paysans, des petits propriétaires, des petits fermiers évincés ou menacés, et des artisans des bourgs. De plus, pour ces larges approvisionnements de Paris, que nous avons notés, les blés de toute l’ancienne Île-de-France et d’une partie de la Normandie devaient être appelés ; et les journaliers pauvres craignaient une hausse excessive du prix du blé et du prix du pain.

À en croire le rapport de Tardiveau, la hausse du blé ne pouvait être la cause décisive de l’agitation, puisque, selon lui, « les grains dans l’Eure étaient à bon marché, et le pain ne se vendait que deux sous la livre ». Si cela est exact, c’est surtout l’animosité des paysans contre les gros fermiers et les capitalistes qui serait le ressort du mouvement.

Il y a deux traits bien remarquables en toute cette agitation de l’Eure, de l’Eure-et-Loir, de Seine-et-Marne. C’est d’abord que les vastes rassemblements de paysans qui se formaient procédaient avec une sorte de méthode et de discipline, évitant les violences inutiles, s’abstenant de piller ou d’incendier, mettant à leur tête, toutes les fois qu’ils le peuvent, les officiers