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armes ! » Des gardes nationaux accoururent, un ouvrier fut tué d’un coup de feu.

« La ville de Poitiers, sans aucun commerce, sans aucun établissement public, renferme dans son sein plus de 6,000 indigents, sur une population d’environ 20,000 âmes. Les salaires des uns sont trop modiques pour atteindre le prix du pain, les autres sont, dès leur enfance, habitués à un métier infâme (la mendicité) ; plusieurs sont infirmes, tous sont pauvres ; tous nous demandent du pain ; tous ont droit de vivre et notre devoir le plus sacré est de soulager leur misère. »

Poitiers était une de ces villes d’où la vie d’ancien régime se retirait sans que les germes et les éléments de la vie moderne y fussent assez puissants. L’Assemblée applaudit et vota.

Du 20 au 30 mars, un mouvement très curieux éclate sur les confins de la Nièvre et de l’Yonne, à Clamecy, Coulange-sur-Yonne, Crain, etc. Ce sont les bûcherons, les ouvriers chargés de préparer pour l’approvisionnement de Paris les bois qui descendaient les rivières jusqu’à la capitale, qui se révoltèrent contre l’insuffisance de leur salaire. Le directoire du département de l’Yonne vint à l’Assemblée, le 13 avril, raconter cette sorte de grève violente :

« Législateurs, le directoire du département de l’Yonne vous a informés des troubles qui avaient agité les paroisses de son territoire limitrophe du district de Clamecy, la ville de Clamecy et environs. Il vous a exposé que la navigation de l’Yonne avait été interrompue, que les séditieux avaient chassé les ouvriers des ateliers, sous le prétexte de l’insuffisance des salaires ; que le 27 mars, environ 2,000 ouvriers de Clamecy, Coulanges-sur-Yonne, Crain, s’étaient réunis en attroupement dans ladite ville de Clamecy ; que la garde nationale ayant pris les armes, on sonna le tocsin sur elle, qu’on parvint à la désunir, qu’elle fut désarmée, dépouillée (même de la chemise) à la face des magistrats du peuple, dont la voix fut méconnue ; que l’officier municipal faisant les fonctions de procureur de la commune avait été frappé d’un coup de poignard ou de baïonnette ; que les séditieux avaient poursuivi les gardes nationales jusque dans les appartements ; que plusieurs, pour sauver leurs jours, avaient été obligés de se précipiter par les fenêtres ou dans la rivière ; qu’on avait ensuite porté en triomphe les habits et les armes, que les rebelles s’étaient emparés des ports et avaient fait chanter un Te Deum en action de grâces de l’avantage qu’ils avaient obtenu sur la garde nationale. »

Il y a dans ce mouvement je ne sais quel mélange de rusticité et d’enfantillage ; mais nous ne voyons la scène qu’à travers un récit bourgeois. Nous ne savons pas si, comme les ouvriers charpentiers dans la grande grève de 1791, ou comme les pétitionnaires de Paris à l’occasion des accaparements de sucre, les pauvres ouvriers bûcherons de l’Yonne et de la Nièvre invoquent les Droits de l’homme pour réclamer le droit à la vie. Le directoire, qui est