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du 11 mars 1790 ». Le Comité féodal, aussi, constate d’abord que l’œuvre de la Constituante a été vaine : « C’est en vain que l’Assemblée constituante a déclaré décréter qu’elle abolissait le régime féodal si, dans le fait, elle a laissé subsister la charge la plus odieuse de la féodalité ; nous voulons dire le droit que chaque ci-devant seigneur percevait et perçoit encore, à chaque mutation dans la propriété ou succession d’un fonds relevant de sa ci-devant seigneurie. »

« Il est bien vrai que l’Assemblée constituante a déclaré que ce droit était rachetable, mais cette faculté devient nulle par l’impossibilité où se trouve la très grande majorité des possesseurs d’amortir, ou bien il faudrait que tous vendissent une partie de leur fonds pour affranchir l’autre.

« De là il suit que la féodalité n’est point encore abolie, puisque le ci-devant seigneur conserve encore une véritable directe sur le fonds, que son ci-devant vassal ne cesse point de l’être puisqu’il faut qu’il reconnaisse que le fonds qu’il possède dépend de la ci-devant seigneurie, qui est déclarée abolie ; et que s’il vend ce fonds il paye à ce ci-devant seigneur le même droit qu’auparavant.

« De là il suit que le fief du ci-devant seigneur qu’on avait aboli, sera toujours existant, puisqu’il aura toujours le droit de demander à son ci-devant vassal la reconnaissance comme quoi le fonds qu’il possède relève de son fief et que cette reconnaissance vaudra bien l’aveu qu’on lui donnait autrefois. »

« De là il suit que l’on n’a vraiment abattu que les branches de l’arbre féodal et que le tronc subsiste encore dans toute sa vigueur, prêt à se couvrir de nouveaux rameaux.

« De là la nécessité d’abolir jusqu’à la trace de la féodalité à moins qu’on ne veuille la voir renaître avec plus d’empire. »

Malgré la vigueur de ce langage le Comité féodal laissait percer un grand embarras : embarras dans les principes, embarras dans la conclusion. D’abord, il n’osait pas proclamer que tous les droits féodaux étaient la survivance d’un état social violent et que même s’ils représentaient un contrat, une concession primitive, la forme féodale de ce contrat devait en vicier le fond. Le Comité féodal imaginait un système historique étrange. Selon lui, toutes les terres de Gaule étaient originairement libres, et, quand les chefs francs distribuèrent des terres à leurs compagnons, ils ne leur imposèrent pas de droits féodaux : c’est par une usurpation ultérieure que les seigneurs infligèrent le droit de mutation à leurs vassaux : et il semble d’après la théorie historique et juridique du Comité féodal que les droits féodaux seraient légitimes si les chefs francs les avaient primitivement imposés à leurs compagnons.

Visiblement, le Comité recule devant l’aveu d’une expropriation nécessaire. Il n’ose pas dire clairement que la liberté nouvelle exige la disparition des formes de propriété qui étaient liées à la servitude ancienne. Et de même que ses principes sont incertains, sa conclusion est incomplète. Il ne libère les paysans que des droits de mutation ; pourquoi laisser subsister les