Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.

très multiples, et par sa manie de classer les faits en catégories abstraites, M. Taine s’est interdit de comprendre la complexe réalité. Tantôt c’étaient les mouvements des grains qui semblaient suspects. Lequinio raconte le 6 janvier 1792 l’enquête qu’il vient de faire dans la région du Nord. Son discours est très modéré puisqu’il demande simplement la liberté de circulation des grains.

« On se plaint des accaparements, dit-il ; oui, il en existe ; mais ils ne sont point ministériels : ils viennent de la part de ceux qui ont positivement le plus d’intérêt à ce qu’ils n’existent point, je veux parler des fermiers, des laboureurs et de tous ceux qui ont du blé. Et pourquoi ? parce que la libre circulation éprouve partout des entraves. Le moyen d’y remédier n’est pas, selon moi, d’établir des greniers de réserve. Ils sont dangereux, ou tout au moins inutiles… Le meilleur moyen de remédier à ces disettes locales est de protéger la libre circulation des grains à l’intérieur. » Comme on voit, il n’y a rien dans ces paroles qui tende à exciter les esprits et à éveiller ou aggraver les soupçons.

On peut donc croire Lequinio lorsqu’il ajoute : « Je me suis informé avec soin dans le département du Nord, dont je suis habitant, sur les causes qui provoquent l’inquiétude du peuple de ces contrées et j’ai appris qu’au mois d’octobre dernier il avait été enlevé du port de Dunkerque le tiers de la récolte. Les habitants en ont conçu des craintes d’autant plus alarmantes qu’ils se souviennent que dans les années 1786, 1787 et 1788, tous les grains de la division du Nord ont été achetés et embarqués au port de Dunkerque, sous le vain et spécieux prétexte d’approvisionner les départements méridionaux, et qu’au lieu d’envoyer ces grains en France, on les a stationnés chez l’étranger et ramenés en France en 1789, où ils furent vendus au quadruple de leur valeur. »

Le même jour, Forfait, dans un discours très hardi, et qui annonçait les résolutions de la Convention, signale le désarroi que devait jeter dans l’esprit du peuple le mouvement compliqué du commerce des grains. « Je trouve la source des (inquiétudes) dans le défaut d’intelligence de ceux qui font les approvisionnements : et c’est ici qu’il faut, pour le salut du peuple, sacrifier au moins pour quelques années une portion des avantages que nous promet la liberté illimitée des opérations commerciales. Il faut donc forcer les acquéreurs à concerter leurs opérations. Je la trouve, cette source d’opinions dangereuses, dans l’indiscrétion avec laquelle se font les transports qui semblent en effet ordonnés à dessein, de manière à redoubler les soupçons et les alarmes. En voici des exemples : Les blés ne sortent des départements septentrionaux que par les ports de Dunkerque, le Havre et Nantes, et c’est aussi par les mêmes ports que rentrent ceux que l’on achète dans la Baltique et la Grande-Bretagne. Le peuple doit croire naturellement que les blés qui rentrent sont ceux qu’il a vu sortir ; et quand il voit une hausse rapide dans le prix de cette