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voie de réglementation et de contrainte où, dans l’extrémité du péril, la Convention entrera résolument, répondait que « le vrai moyen d’augmenter la défiance du propriétaire de blés est de lui faire sceller la porte de ses greniers ; c’est d’exiger qu’il les porte au marché. Une pareille inquisition opérerait sur le blé l’effet que fit sur le numéraire, dans le temps de la régence, l’interdiction d’avoir à soi plus de 500 livres en espèces ».

Enfin, les pétitionnaires demandaient « qu’il soit fait dans chaque département un dépôt de blé dans les années abondantes, qui puisse fournir au besoin dans les années de disette ». L’Assemblée n’opposa pas des objections de principe. Elle ne dit pas que cela était contraire à la mission de l’État qui doit veiller sur les initiatives individuelles et non les absorber. L’intervention de l’État apparaissait au contraire très légitime aux hommes de la Révolution. Mais la Législative faisait valoir des difficultés pratiques : la nécessite d’un gros capital, la crainte des malversations et aussi de la déperdition des grains, enfin « la stagnation des prix » par le défaut de concurrence, et par suite le dommage causé à l’agriculture.

Elle se borna donc, après d’assez nombreux ajournements, à organiser un système de passeports qui devaient accompagner tous les convois en indiquant le point de départ et la destination. Ces mesures ne réussirent point partout à calmer l’effervescence : la fuite du numéraire irritait les esprits et leur faisait craindre une semblable émigration des grains. Taine, dans le tableau qu’il trace de ces désordres, a singulièrement forcé et faussé les choses ; à le lire on croirait que toute la France était en feu, et que partout la bête humaine, affolée, débridée, livrée à elle-même par l’impuissance de la Constitution, se ruait aux violences.

Mais en fait, c’est seulement, en toute l’année 1792, dans une quinzaine de districts que se produisirent des mouvements populaires. Et les paniques, les détresses locales et momentanées n’empêchaient pas un grand mouvement de confiance et de richesse. Taine a l’habitude détestable et antiscientifique de grouper des faits empruntés à des époques très différentes ; il dénonce par exemple la ruine des manufactures comme une conséquence du système révolutionnaire. Et il en cherche la preuve, où ? dans des rapports administratifs de l’an X et de l’an XII. Et ces rapports, dans son exposé, voisinent avec les soulèvements paysans de 1792.

Taine ne paraît pas se douter qu’en 1792 précisément il y a eu une grande activité manufacturière. Contrairement à la loi même de l’histoire, il ne suit pas l’évolution des faits, et au lieu de noter les teintes successives et les combinaisons changeantes du métal en fusion, il mêle dans le plus bizarre amalgame les premières flammes jaillissantes et les dernières cendres refroidies. En fait, dans tous ces soulèvements de 1792, il n’y eut presque jamais mort d’homme, et c’est avec une sorte de méthode et de discipline que le peuple arrêtait et taxait le blé. D’ailleurs, les causes des soulèvements furent