Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chercher dans de prétendues opérations d’intérêt public un bénéfice de spéculation.

Le reproche était absurde : car la municipalité n’avait pas le monopole de la vente des grains, et en approvisionnant les magasins publics, elle contribuait à baisser le prix de la denrée ; elle s’interdisait donc par là même tout bénéfice d’agio. Mosneron le constate et ici encore je relève un nouveau témoignage de l’excellent état des approvisionnements de blé à Paris : « Si la municipalité de Paris fait le commerce des blés, si elle en tire des autres départements pour se procurer un bénéfice en le vendant dans la capitale, elle est bien trompée dans sa spéculation : car le lieu du royaume où le pain est le plus beau, le meilleur et à plus bas prix, est la ville de Paris. »

Et aucune protestation ne s’élevait dans l’Assemblée contre cette affirmation. En fait, c’est plutôt au sujet du sucre et des denrées d’épicerie qu’au sujet du pain, qu’en 1792 le peuple de Paris réclama. Mais en plusieurs points des campagnes il y eut des mouvements très vifs. Des villes et bourgs de Saint-Omer, Montélimart, Coye, Samer, Chaumont-sur-Marne, Neuilly-Saint-Front, Beaumont-la-Digne, Mâcon, Villers-Outreaux, Souppes, Dunkerque, Saint-Venant, Douai, Arras, Nantes, Verberie, Saint-Germer et Montmirel des pétitions étaient adressées à l’Assemblée.

Là le peuple, dès qu’il voyait des voitures chargées de grain ou quand du blé était porté sur les navires, se soulevait. À Chaumont il se rassemblait au son du tocsin. À Dunkerque, à Saint-Omer, il empêchait le chargement des vaisseaux. Évidemment, en troublant ainsi la circulation, il aggravait le mal dont souffrait le pays ; mais comme les souvenirs du passé et les exemples mêmes du présent justifiaient ses inquiétudes ! Dans les dernières années de l’ancien régime, quand, pour combler le déficit de la récolte, la monarchie primait les blés importés, de grands spéculateurs exportaient en fraude le blé de France et le réimportaient pour bénéficier de la prime.

Le peuple avait peur que des manœuvres du même ordre dégarnissent encore les marchés insuffisamment pourvus. En vain, dans les ports, lui disait-on que c’était à nos colonies qu’étaient destinées les farines exportées ; il n’avait pas confiance. Et même quand les blés étaient enlevés du Nord où ils surabondaient pour aller ravitailler le Midi, le peuple du Nord craignait que sous des prétextes honnêtes on ne parvînt à le démunir. Les pétitionnaires demandaient à l’Assemblée d’interdire rigoureusement toute sortie des blés. L’Assemblée, par son rapporteur Mosneron, répondit que sauf les farines destinées à nos colonies et dont la remise à destination était rigoureusement contrôlée, ni grains ni farines ne sortaient de France.

Les pétitionnaires demandaient en outre que les propriétaires de grains, au lieu de vendre à des spéculateurs, à des « accapareurs » qui pouvaient emporter le grain au loin fussent tenus de le porter sur le marché en proportion de leurs approvisionnements. L’Assemblée, hésitant à entrer dans cette