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tantôt lent et incertain des pensées populaires ; mais bientôt le peuple, un moment lassé par l’excitation continue de Marat, éprouva de nouveau le besoin d’entendre cette voix stridente, passionnée. Tout seul le père Duchesne semblait insuffisant et vulgaire.

Le club des Cordelier, le 25 août adressa une pétition à Marat le priant de rentrer en scène. La lettre était signée d’Hébert, président. L’Ami du Peuple reparut le 12 avril 1792, et ainsi le peuple se fit entendre, pour ainsi dire, par deux voix, l’une gouailleuse, bonhomme, et souvent ordurière, l’autre aigre, déchirante, toute vibrante de passion et de pensée, avec de furieux égarements et des accents prophétiques.

Mais ce n’était pas seulement dans les grandes villes, c’était aussi dans les bourgs et dans les campagnes que la question des subsistances, surtout la question du blé, provoquait des agitations et des troubles. Pendant deux ans, pendant l’année 1790 (sauf les trois premiers mois), et pendant toute l’année 1791, la question du blé ne s’était pas posée. Les récoltes avaient été abondantes : le prix du pain avait graduellement diminué jusqu’à ne pas atteindre trois sous la livre, et aucune inquiétude n’avait effleuré l’imagination populaire, que Taine représente toujours tendue et affolée.

A la fin de 1791, il fallut bien constater que la récolte était insuffisante, au moins dans d’importantes régions. Dans son rapport du 1er novembre 1971 à la Législative, le ministre de l’intérieur Delessart déclare, d’après les renseignements qui lui avaient été fournis par les directoires de départements, que les récoltes étaient abondantes dans toute la partie du Nord de la France, qu’elles étaient médiocres au Centre, et insuffisantes dans le Midi.

La situation n’était pas évidemment très inquiétante. D’abord Paris, centre de l’action nationale et aussi des agitations, était largement approvisionné.

« Au moyen de toutes les précautions prises par la municipalité de Paris, dit le ministre, et d’après la connaissance qu’elle m’a donnée de ce qu’elle possède en grains et en farines et des ressources dont elle est maintenant certaine, l’approvisionnement de cette capitale paraît assuré pour cet hiver. On a pensé avec raison que le moyen le plus efficace de calmer les inquiétudes du peuple était de porter les approvisionnements au-dessus plutôt qu’au-dessous des besoins… Mais il n’était pas de même au pouvoir de la municipalité d’empêcher l’augmentation du prix du pain, cette augmentation étant une suite inévitable de la rareté de la denrée dans une partie du royaume. »

Et le 10 décembre, Mosneron défend la municipalité de Paris contre les reproches des marchands de blé et des boulangers. Ils se plaignaient que la municipalité, ayant fait dans des magasins publics de larges approvisionnements de blé, obligeait les boulangers à acheter les grains, même avariés, qui avaient pu fermenter en magasin. Ils accusaient aussi la municipalité de