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« Eh ! foutre, me dit-il, ne sais-tu pas que la garce de ferme nous tient toujours le pied sur la gorge ? Elle n’a été détruite que pour la frime. Les viédazes de maltôtiers ont mis tous leur tête dans un bonnet, pour accaparer toutes les marchandises dans les fabriques ; ils ont accaparé tout le cuir du royaume, et ils le vendent maintenant au prix qu’ils veulent. Dans quelques mois, foutre, si on n’y prend garde, les souliers vaudront une pistole la paire. Je ne mis point en oreille d’âne la réflexion du pontife. J’ai depuis consulté d’autres détaillants et ils m’ont tous attesté que les bougres de maltôtiers se sont rendus maîtres de toutes les branches du commerce et qu’ils s’entendaient comme larrons en foire avec les ministres et les municipalités pour rançonner le pauvre peuple.

« Quoi donc, foutre, nous n’aurons rien gagné à la suppression des barrières ! On nous aura chargé de nouvelles impositions et nous payerons toujours les mêmes droits sur les subsistances ! Tonnerre de Dieu ! ça ne sera pas. Partout où on voit le mal il doit y avoir un remède. Nouveaux législateurs, c’est à vous à le trouver. Exterminez les nouveaux abus, c’est là votre devoir. Faites pendre jusqu’au dernier financier et tous les bougres de marchands de chair humaine qui spéculent sur la substance des citoyens et qui s’engraissent du sang des malheureux ; faites venir la section des Lombards : c’est elle qui vous découvrira le pot-aux-roses.

« Vous apprendrez, foutre, qu’il existe un infâme complot pour nous réduire cet hiver à la dernière extrémité. »

Ainsi s’élevait le ton des protestations populaires. C’est déjà le régime de la Terreur qui s’annonce, appliqué aux choses économiques. La Révolution ne songe pas à toucher à la propriété individuelle, à substituer le communisme aux échanges et à la concurrence mercantile ; elle n’a donc d’autre ressource pour contenir les spéculations de la bourgeoisie que de frapper les marchands d’épouvante ; c’est de la pendaison que le père Duchesne les menace ; ce sera bientôt de l’échafaud.

Ainsi commencent à apparaître les raisons économiques de la Terreur.

Mais ce n’est pas encore à l’insurrection, ce n’est pas à une Révolution nouvelle que le père Duchesne appelle le peuple. Il déplore que la Constitution ait été manquée, qu’elle ne soit pas inspirée d’un grand esprit démocratique et populaire, mais il se résigne provisoirement (no 84) : « Si on n’avait pas étouffé la voix du peuple de Paris, nous n’aurions pas eu une Constitution à la diable, un véritable habit d’Arlequin où on voit des morceaux magnifiques cousus avec des guenilles. Cette Constitution serait toute prise dans les Droits de l’homme et elle aurait été un jour la loi de l’Univers ; mais ce qui est fait est fait, et parce qu’on a un cheval borgne, pour cela il ne faut pas le tuer. »

Le père Duchesne s’accommodait ainsi au mouvement, tantôt précipité,