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songez qu’il faut unir vos intérêts à ceux des propriétaires. » Il est vrai que les autres lui auraient répondu : « Soyez persuadé, Monsieur le maire, que nous n’y manquerons pas. »

Et tout de suite :

« Réveillez-vous, hommes qui avez des possessions ; sortez du sommeil léthargique où vous êtes plongés depuis plus de deux ans ; il en est temps encore, mais ne différez plus un instant. Je vois de toutes parts des nuages qui s’amoncellent sur votre tête. Les Jacobins, comparables aux Titans, après avoir établi l’anarchie et le désordre dans le royaume, après avoir porté le fer et la flamme dans toutes nos colonies, veulent vous abîmer sous les ruines de la monarchie. Les faubourgs de Paris sont hérissés de piques… N’avez-vous pas des biens à protéger ? N’avez-vous pas une famille ? Attendrez-vous qu’on vienne enlever ce que vous possédez ? que de lâches brigands, au nom de la liberté et de l’égalité se partagent sous vos yeux toutes vos dépouilles… Il est mal à propos qu’on donne le nom de citoyens à ces hommes qui, n’ayant rien à perdre, sont disposés à tous les crimes. Les véritables citoyens sont ceux qui ont des possessions : les autres ne sont que des prolétaires ou faiseurs d’enfants, et ceux-ci n’auraient jamais dû être armés ni voter que comme en Angleterre. Méprisables soutiens de la licence, clubistes forcenés, Jacobins que l’amour de la domination aveugle, vous ne serez que trop convaincus de cette vérité… citoyens, combien de sujets n’avez-vous pas de vous défier de tous ces hommes qui ne veulent s’assimiler à vous que pour dévorer votre substance ! Depuis quand les frelons sont-ils regardés comme les frères des abeilles ? Au premier signal d’une révolte, courez, chassez cette nuée d’insectes qui veut partager sans effort et sans gloire votre fortune acquise ou celle qu’augmentera bientôt votre industrie. »

Et il terminait par cette phrase flamboyante où les majuscules alternent avec les italiques :

« PROPRIÉTAIRES, qui que vous soyez, gardez-vous de soutenir une fausse doctrine ; les hommes qui n’ont RIEN, ne sont pas vos égaux. »

Je n’aurai point le ridicule de donner plus d’importance qu’il ne convient aux paroles du comte de Beauvert, forcené de contre-révolution. Mais il est certain que tous les hommes d’ancien régime s’appliquaient, à ce moment, à apeurer la bourgeoisie que le mouvement soudain de janvier avait troublée. Et cette tactique n’était point sans effet, comme en témoigne la phrase de Pétion : « On a tellement répété à la bourgeoisie que c’était la guerre de ceux qui avaient contre ceux qui n’avaient pas, que cette idée-là la poursuit partout. »

Les hommes de la contre-révolution n’osant plus demander ouvertement le rétablissement de leurs privilèges, la restitution de l’arbitraire royal, de la noblesse et de la féodalité, tentaient de former une sorte de Ligue des propriétaires, une coalition des rancunes aristocratiques, des fureurs coloniales