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avoisinent, formons une barrière de peuples libres entre nous et les tyrans ; faisons-les trembler sur leurs trônes chancelants, et rentrons ensuite dans nos foyers, dont la tranquillité ne sera plus troublée par de fausses alarmes, pires que le danger même. Bientôt la confiance renaît dans l’empire, le crédit se rétablit, le change reprend son équilibre, nos assignats inondent l’Europe et intéressent ainsi nos voisins au succès de la Révolution qui, dés lors, n’a plus d’ennemis redoutables. »

La Gironde oubliait que si déjà les classes industrielles et commerçantes, les classes bourgeoises, seules capables de désirer ou de tenter efficacement une Révolution analogue à la nôtre, y avaient été fortement disposées, si les conditions économiques et politiques de leur développement en Angleterre, en Hollande, en Allemagne y avaient été très favorables, elles auraient solidarisé leurs intérêts de Révolution avec les nôtres par le crédit maintenu de l’assignat. La ligue des princes, des émigrés, des spéculateurs et des tyrans ne suffisait pas à expliquer cette sorte de chute de la Révolution dans toutes les Bourses de l’Europe où la bourgeoisie faisait la loi. Et Robespierre, s’il avait été plus attentif aux phénomènes économiques, aurait pu invoquer ce discrédit de la monnaie révolutionnaire au dehors, contre les rêves de facile et joyeuse expansion révolutionnaire qu’avec une étourderie héroïque et coupable les Girondins propageaient.

Mais si cette crise des changes attestait un déséquilibre entre la France et le monde, si elle menaçait aussi d’instabilité l’état économique et la production de la France, il reste vrai qu’en 1792 une activité inouïe des manufactures préservait le peuple ouvrier de France du pire des maux : le chômage. Comme suite naturelle d’une énergique demande de main-d’œuvre, les salaires, ainsi que le constate l’article déjà cité des Révolutions de Paris, avaient une tendance à hausser. Mais le peuple des ouvriers et des artisans ne souffrit-il pas, à cette période, de la rareté des moyens de circulation et du renchérissement des denrées ?

Il faut dire tout de suite que si l’assignat perdait à la fin de 1791 et au commencement de 1792 50 pour 100 sur les valeurs étrangères, 20 pour 100 sur les écus, il perdait bien moins par rapport aux denrées. C’est un phénomène indéniable, et noté à cette époque par un très grand nombre d’observateurs. La monnaie métallique, l’or et l’argent étaient considérés comme une marchandise d’un ordre tout particulier. Qui avait de l’argent et de l’or se sentait à l’abri de toutes les crises, de toutes les surprises possibles dans le cours du papier ou des denrées. Facile à cacher et à conserver, la monnaie d’or et d’argent ne risquait pas de se corrompre comme les autres marchandises et elle gardait par rapport aux valeurs étrangères toute la puissance d’achat que perdaient les assignats. La monnaie d’or et d’argent était particulièrement demandée par ceux qui voulaient convertir en solidité métallique leurs valeurs de papier sans assumer les charges d’un négoce de mar-