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qu’une somme de cent millions de numéraire subdivisé est évidemment insuffisante à leurs besoins. »

Deux mois après, le 18 février 1792, le ministre de l’intérieur, Cahier de Gerville, dans son rapport général à l’Assemblée sur l’état du royaume, définit de même la condition économique de la France :

« Le commerce dans le moment actuel offre des résultats avantageux dont des gens malintentionnés chercheraient vainement à diminuer l’importance. Toutes nos manufactures sont dans la plus grande activité ; un grand nombre d’individus qui languissaient dans la misère et l’inaction sont rendus au travail et peuvent du moins exister.

« Mais je ne dissimulerai pas à l’Assemblée nationale, qu’une grande partie de l’activité de nos manufactures est due à la soulte de notre commerce avec l’étranger, qui préfère les produits de notre industrie aux autres valeurs qu’il n’est pas disposé à recevoir. La défaveur de nos changes procure encore à l’étranger, pour ses achats, des facilités momentanées.

« L’augmentation très considérable de la consommation intérieure, résultant, soit des approvisionnements de tout genre que les circonstances présentes nécessitent, soit des spéculations individuelles, doit encore être considérée comme une des causes de l’activité de nos manufactures. »

Et Cahier de Gerville indique, en même temps que les avantages immédiats de cet état économique, ce qu’il a de précaire. Il est bien certain, en effet, que lorsque toutes ces causes combinées qui accélèrent en France la consommation auront produit tout leur effet, lorsque tous les assignats disponibles aux mains de la bourgeoisie auront fait effort pour se convertir en marchandises, lorsque l’étranger se sera couvert de ce que lui doit la France en s’approvisionnant largement chez nous, toutes les marchandises, produits et matières premières monteront peu à peu à un prix où nos industriels ne pourront plus que difficilement atteindre, et où l’étranger, malgré le bénéfice du change, cessera ses achats. Il risque alors de se produire une dépression générale, ou même un arrêt de l’industrie ne trouvant plus une quantité suffisante de matière première à ouvrer. « D’après cette courte notice, ajoute le ministre, des causes accidentelles et momentanées de l’activité de nos fabriques, on reconnaît que notre commerce n’a point reçu l’accroissement absolu et indépendant, qu’il n’est pas dans un état de prospérité durable et que nous n’obtenons point une véritable augmentation de richesses nationales. Nos ouvriers vivent, nous soldons nos dettes avec les produits de notre industrie, voilà tout notre avantage ; mais il est grand ; vu les circonstances. Il est d’ailleurs présumable que quand les matières premières que nous tirons de l’étranger auront été consommées, nous serons, obligés d’en faire de nouveaux approvisionnements, dont le prix augmentera considérablement, soit en raison de l’état des changes, soit en raison des valeurs qui serviront à les