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plus forte raison lorsque la chose publique est en danger, ils seraient bientôt réduits à une nullité absolue par l’indignation publique. Il existe, Messieurs, et je vous la dénonce, une grande conjuration contre le crédit des assignats, et l’insatiable cupidité des agioteurs la favorise. Elle a pour but de faire monter le prix de toutes choses, afin que le peuple murmure… »

Et, arrivant à la question plus particulière des changes étrangers, Delaunay dit : « Le change est la valeur qu’on donne dans l’étranger à nos écus, car nos assignats sont actuellement des écus, que nos voisins n’osent pas admettre ; et cependant ils ne sont pas assez ineptes et insensés pour confondre les assignats sur les domaines nationaux avec le papier-monnaie sans hypothèque spéciale, sans forme ou époque de son remboursement. Ils savent d’ailleurs qu’ils pourraient nous payer avec nos assignats, comme ils nous rendraient nos écus. Pourquoi nos voisins n’osent-ils pas admettre nos assignats, comme nous les admettons nous-mêmes ? Ce sont les discours des ennemis de la Constitution retirés au milieu d’eux qui les alarment… »

« Le repoussement de nos assignats par nos voisins est d’autant plus l’effet de la crainte que la hausse de l’argent leur a été et leur est encore préjudiciable. N’ont-ils pas éprouvé et n’éprouvent-ils pas tous les jours une perte énorme en réalisant les sommes que nous leur devons. Cependant le change est devenu tel qu’il suppose notre commerce détruit, nos manufactures abandonnées, nos terres désertes et incultes, et un besoin absolu des productions étrangères en tout genre ; tandis que, dans la vérité, toutes les ressources nationales n’ont jamais été plus actives et nos besoins de productions étrangères plus réduits.

« Pourquoi éprouvons-nous une perte énorme sur notre change ? Pourquoi, lorsque nos besoins sur les étrangers sont moindres que leurs besoins sur nous, le change continue-t-il à décliner ? »

Plus tard la Convention répondra à ces questions passionnées par les mesures légales qui ramèneront l’assignat au prix de l’argent. Mesures efficaces dans la France close, mais qui n’auraient pas eu de prise sur le marché international. Mais, je le répète, très logiquement, Delaunay ne peut accuser l’agiotage sans constater que l’état général des affaires n’expliquait pas la baisse du change.

Beugnot, le 23 décembre, explique la fuite de notre numéraire par des causes étrangères aux assignats, par le négoce avec les Indes où nous achetions des soieries et des épices, que la France payait non en produits mais en monnaie d’or et d’argent. Il l’explique aussi par le traité de commerce avec l’Angleterre qui, en ouvrant, depuis 1785, notre marché aux produits anglais, a déterminé la sortie de notre numéraire. Mais il ajoute : « La hausse du change dont on s’effraie si mal à propos, loin de nuire à nos manufactures, leur a donné une nouvelle énergie ; l’étranger, forcé de recevoir des capitaux de France, et ne pouvant ou ne voulant pas prendre de nos assignats