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sera ses ennemis, ou il ne leur laissera, pour fruit de leurs conquêtes, que des déserts et des cendres.

«…Pénétrons-nous du sentiment de nos forces ; mais cherchons, en même temps, à les assurer, à les fixer, à les diriger…

«…Nous avons une armée imposante, tant en troupes de ligne qu’en troupes nationales, mais cette armée. J’ose le prédire, ne remplira efficacement notre attente qu’autant que sa force et celle de la Nation ne seront qu’une, et que le peuple, bien disposé, s’unira à elle d’intention et, s’il le faut, d’action.

« C’est donc cette force morale du peuple, plus puissante que celle des armées, c’est cette opinion générale, si essentielle à l’ordre et au bonheur de tous, que l’Assemblée nationale doit rechercher et dont elle doit, avant tout, s’assurer.

« Jusqu’à présent, l’on vous a proposé, comme unique moyen, des adresses au peuple. Je ne condamne point ce moyen ; mais ce n’est, à mon avis, qu’une mesure secondaire, la mienne est d’un autre genre ; l’on veut éclairer le peuple et moi je voudrais le soulager ; l’on veut rattacher à la Révolution par des discours, et moi je voudrais l’y attacher par des lois justes et bienfaisantes dont le souvenir, toujours présent, ne cessât de lui rendre chers les titres et les devoirs de citoyen.

« Parmi le grand nombre d’occasions qui peuvent se présenter de faire des lois populaires, j’en choisirai une qui ne donnera pas lieu, je pense, à de grandes difficultés. Chacun de nous a vu cette nuit, à jamais mémorable, du 4 août 1789, où l’Assemblée constituante, pure à son aurore, prononça, dans un saint enthousiasme, l’abolition du régime féodal ; elle mérite, pour ce superbe décret, les actions de grâce du peuple, surtout du peuple des campagnes, de ce peuple si précieux et si longtemps oublié ; et si, d’accord avec elle-même, l’Assemblée constituante eût conservé religieusement la mémoire de cette loi salutaire et en eût soigneusement maintenu l’application dans les lois de détail qu’elle fit ensuite, il ne faudrait songer à elle que pour l’honorer et lui payer un éternel tribut d’admiration et de reconnaissance.

« Mais ces dispositions éclatantes ne présentèrent bientôt, pour le peuple, que l’idée d’un beau songe, dont l’illusion trompeuse ne lui laissa que des regrets.

« Ce fut, comme on vient de le voir, le 4 août 1789, qu’un décret, reçu avec transport dans toutes les parties de l’Empire, abolit, indéfiniment, le régime féodal, et, 8 mois après, un second décret conserva tout l’utile de ce même régime, en sorte que, loin d’avoir servi le peuple, l’Assemblée constituante ne lui a pas même ménagé l’espoir consolant de pouvoir s’affranchir un jour, et du despotisme des ci-devant seigneurs, et des exactions de leurs agents.