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limiter l’émission, et de prévenir la dépréciation de l’assignat, ils ne dispensèrent pas la Révolution, dont les besoins étaient immenses, de dépasser dès la fin de 1791 la ligne marquée par la Constituante. Et malgré une résistance suprême de Cambon, demandant que l’on ne procédât au remboursement des créances que par numéro, au fur et à mesure que des assignats rentreraient à la Caisse connue prix des biens nationaux, la Législative rendit le 17 décembre le décret suivant :

« La somme d’assignats à mettre en circulation qui d’après le décret du 1er novembre dernier est fixée à 1.400 millions sera portée à 1.600 millions. » La Constituante avait déjà forcé elle-même le chiffre qu’elle avait fixé d’abord : elle avait prévu une émission supplémentaire de 100 millions en assignats de 5 livres ; en quelques mois la Législative poussait jusqu’au chiffre de 1.600 millions.

L’Assemblée se préoccupait en même temps de créer ou de multiplier les petits coupons. L’Assemblée constituante avait créé presque exclusivement de gros assignats, de 2.000, 1.000, 200, 50 livres. Ainsi, pour les petites transactions, pour le paiement des salaires, pour le commerce de détail, la monnaie de papier manquait.

La Constituante décida en mai que 100 millions d’assignats de 5 livres seraient créés et remplaceraient 100 millions de gros assignats. Mais c’était bien peu de chose : ces cent millions furent absorbés presque immédiatement par les administrations publiques qui en avaient besoin pour payer les prêtres, les officiers, les soldats ; et bien qu’ils pussent ensuite se répandre dans le pays, la plupart des départements en étaient démunis. L’Assemblée législative voulut remédier énergiquement à ce mal. Elle considéra qu’elle devait agir avec l’assignat comme s’il était la seule monnaie, et le proportionner par conséquent à tout le détail des échanges. Elle adopta la formule de Cambon « que les assignats de petite valeur soient aussi multipliés que l’était le numéraire métallique ». Elle applaudit Merlin disant qu’il fallait faire « évanouir la magie de l’or et de l’argent. » Et elle décréta le 23 décembre que dans l’émission des assignats nouveaux 100 millions seraient de 50 sous, 100 millions de 25 sous et 100 millions de 10 sous.

Par ces petites coupures des assignats, répondant à toutes les ramifications des échanges, la Révolution entrait enfin dans tout le réseau de la circulation et de la vie économique, dans les veinules et les artérioles et dans tout le système capillaire. C’était la prise de possession entière, profonde, de la vie sociale, par le signe révolutionnaire, par l’assignat.

Quels étaient, au commencement de 1792 les effets de cette masse d’assignats, ainsi accrue tout ensemble et divisée, sur le mouvement économique et social ? La question a des aspects multiples, et il faudrait analyser : 1o les rapports des assignats avec les valeurs étrangères ; 2o les rapports des diverses catégories d’assignats entre elles ; 3o les rapports des assignats avec la