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Peut-être à vrai dire, les démocrates bourgeois ne se rendaient-ils compte qu’à demi des inévitables effets capitalistes de la Révolution. Peut-être aussi, la joie des contre-révolutionnaires, qui espéraient bien tirer parti de ces agitations, leur suggérait-elle l’idée qu’ils en étaient les seuls artisans. Il se peut d’ailleurs très bien que des hommes stipendiés par la contre-révolution fussent mêlés aux mouvements populaires. « Si le peuple a fait porter son ressentiment sur les marchands détailleurs il a commis un délit grave et une injustice criante ; mais ce n’est pas le vrai peuple qui s’est oublié à ce point ; ce n’est pas lui qui s’est fait délivrer le sucre, par pains, à 20 et 25 sous la livre. Le peuple est trop pauvre pour faire de telles acquisitions, ce sont les riches, ce sont les ministériels (le ministère en janvier est royaliste et feuillant) les amis de la Cour, les amis des blancs, les correspondants des émigrés qui ont endoctriné de mauvais sujets pour soulever le peuple, pour amener une révolte, un commencement de contre-révolution et pour faire dire, en montrant des pains de sucre tout entiers achetés par violence à 20 sous la livre, qu’il n’y a plus de sûreté dans Paris pour les gros négociants, ainsi que pour les détaillants, que les propriétés sont violées, que la liberté du commerce était nulle, et que Paris ne deviendra jamais un entrepôt digne de rivaliser avec Amsterdam si on n’y respecte pas les variations du prix des marchandises. »

Ainsi, malgré les grandes colères contre la spéculation, c’est encore à la liberté absolue du commerce que concluait le journal de Prudhomme comme Ducos ; et la première phrase de l’article indiquait nettement qu’il n’y avait pas lieu de recourir à la loi : « Il se commet actuellement à Paris et dans les principales villes de plusieurs départements un délit national, un grand délit, et contre lequel cependant la loi ne peut ni ne doit prononcer. »

En fait, cette politique d’attente, de manifestations oratoires et d’inaction légale à l’égard de la spéculation ou accaparement ou même de la hausse naturelle des denrées était possible en 1792 ; car s’il y avait alors un état économique un peu excité et instable, il n’y avait ni souffrance aiguë, ni perturbation profonde.

L’assignat, qui portait la Révolution, n’était pas sérieusement ébranlé ; et son crédit paraissait suffire même à de nouvelles et vastes émissions. Pourtant, en ce crédit de l’assignat, quelques points noirs commençaient à apparaître. La situation budgétaire n’était pas bonne. Le budget de la Révolution dans les années 1791 et 1792 s’élevait, en moyenne à 700 millions par an. Or si les dépenses s’élevaient réellement à ce chiffre, il s’en faut que les recettes, les « rentrées », fussent égales ; les impositions de l’ancien régime avaient été abolies, et les impositions nouvelles, impôt foncier, contribution personnelle mobilière, calculée, suivant un tarif assez compliqué, d’après la valeur locative de l’appartement occupé par les citoyens, n’avaient pas encore sérieusement fonctionné. Les administrations des départements, des districts, des communes étaient en retard pour la répartition de l’impôt, pour la confec-