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« Car il faut être de bon compte : est-il juste qu’une population laborieuse et indigente de 600,000 âmes se prive d’un comestible quelconque, parce qu’il plaira à une douzaine d’individus vindicatifs, ou rapaces, de fermer leurs magasins ou de centupler leurs bénéfices ? Et puisque ces propriétaires se mettent sans façon au-dessus des règles de l’honnêteté et des principes de l’humanité, peut-on avoir le courage de faire un crime au peuple de se placer un moment au-dessus des lois impuissantes de la société civile ?… Et qui mérite plus que le peuple, plus que le peuple de Paris, tous les égards, tous les ménagements, sinon de la loi qui n’en connaît point, du moins de ses législateurs et des magistrats ?… Il a tout enduré et on lui fait un crime quand, perdant patience un moment, il se porte avec quelque énergie devant plusieurs de ses églises, converties en magasins de sucre, dont on lui surfait le prix avec une impudence rare. Est-ce donc un si grand crime que de se porter rue des Écouffes, au Jeu de Paume, ou bien du côté de la Râpée ? après qu’on lui a dit : Bon peuple ! écoute : Dandré, qui t’a fait payer si cher la justice en Provence et qui a vendu la constitution au château des Tuileries, fait en ce moment avec l’or de la liste civile de grands amas de sucre, de compagnie avec Finot et Charlemagne, afin d’épuiser ta bourse en te le revendant.

« Les Leleu et compagnie qui ne te sont déjà que trop connus, profitent de ta détresse et se vengent des disgrâces que la loi vient de leur faire éprouver dans leur commerce des grains et farines, en emmagasinant du café et du sucre dans les petites écuries du roi, et chez un sieur Bloque, tenant des voitures de deuil, rue Chapon au Marais (ils en ont pour deux années ; les registres de l’amirauté en font foi, tu peux les consulter) et aussi dans un autre dépôt, à l’abbaye Saint-Germain.

« Laborde a fait un emprunt à quatre pour cent dans les mêmes intentions ; Cabanis, négociant, rue du Cimetière-Saint-Nicolas, chez un chapelier ; Gomard et les frères Duval, rue Saint-Martin, et beaucoup d’autres se sont ligués pour te revendre, sans pudeur, une denrée à laquelle ils savent que tu es attaché, et s’applaudissent de servir tout à la fois leurs intérêts et ceux de la Cour, où ils ont des complices. »

En reporter exact, le journaliste des Révolutions rectifie en note une erreur de détail qu’il vient de commettre. « C’est à tort qu’on a répandu qu’il y avait un dépôt de sucre dans l’Abbaye Saint-Germain. Nous nous sommes assuré du fait par nous-mêmes, et nous pouvons assurer que dans un immense magasin, servant jadis de cellier à la maison, et loué depuis un an à M. Laurent de Mézières fils, banquier et commissionnaire, rue Saint Benoit, nous n’avons vu que deux cent quarante pièces de vin, cent soixante-deux pipes d’eau-de-vie, cinquante balles de soude, et quarante-un millions de café, appartenant à divers négociants de Nantes et du Havre, dont il a fait déclaration à la Municipalité. »