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subtiles combinaisons du négoce universel font varier nécessairement les prix d’un pays avec les prix de tous les autres ?

Les Girondins se plaisaient d’autant mieux à ces vastes perspectives du marché international que pour beaucoup de ses produits, par les draps dans le Levant, par le sucre dans le monde entier, la France y dominait ; et cet orgueil de la force commerciale de la France dans le monde contribuait, j’en suis certain, à animer le rêve d’expansion révolutionnaire que les hommes de la Gironde avaient formé.

Ils souhaitaient volontiers à la Révolution les horizons vastes auxquels, par le jeu presque infini de leurs affaires, ils étaient accoutumés. L’idée du maximum, de la réglementation intérieure du prix des denrées, des produits, des travaux n’entrera profondément dans les esprits et n’y prévaudra que lorsque le marché international sera presque détruit, lorsque la France sera comme bloquée par la guerre universelle.

Ainsi, en cette crise du sucre, dès janvier 1792, ce n’est pas seulement le conflit de la bourgeoisie et du peuple qui apparaît. On pressent en outre les dissentiments du groupe girondin et du peuple ouvrier. Les pétitionnaires des Gobelins ont menacé directement la bourgeoisie mercantile et feuillantiste : mais il y a aussi désaccord entre la tendance des pétitionnaires qui songent déjà, quoique timidement, à réglementer et la conception girondine.

Ducos sentit bien le péril, et il essaya d’envelopper de formes populaires son refus de s’associer à une loi contre les accaparements : « C’est à regret que je refuse d’appuyer les moyens d’arrêter les manœuvres infâmes des agioteurs, qui jouent entre eux la fortune publique ; mais, il faut l’avouer, une loi contre les accaparements est extrêmement difficile parce qu’elle pourrait envelopper dans une même proscription le commerçant industrieux avec l’avide accapareur ; parce qu’elle détruirait le commerce en l’entravant ; car il n’y a point de commerce sans liberté. Toutefois, je ne crois point que cette loi soit impossible, mais je crois qu’elle doit être mûrie avec une grande attention, parce qu’elle doit toucher les bornes du droit de propriété sans les dépasser. Je demanderai que le Comité de législation soit adjoint au Comité de commerce pour vous présenter, dans un bref délai, un projet de loi contre les accapareurs.

« Il est, au reste, n’en doutez point, un terme matériel aux maux dont les accapareurs tourmentent le peuple ; cette sorte d’agiotage doit se détruire par ses propres excès : la cherté des denrées diminuera la consommation ; l’échéance des engagements contractés par ces insensés les forcera à ouvrir leurs magasins ; vous verrez rentrer dans la circulation ces produits qu’ils en ont enlevés. Une grande concurrence doit amener une chute subite dans les valeurs, et les accapareurs seront les premières victimes de ce jeu funeste. (Murmures.) Heureux encore si d’honnêtes citoyens ne sont point entraînés dans l’abîme ; ceux-là seront dignes de vos regrets. Quant à ceux qui, depuis