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se procurait 150 livres d’assignats ; les étrangers avaient donc un bénéfice résultant du change quand ils achetaient en France, mais malgré ce bénéfice, telle était, selon Ducos, la tendance des sucres à s’élever sur les marchés étrangers au niveau des cours de France que les Anglais, les Allemands ou les Hollandais n’avaient aucun intérêt à nous acheter pour nous revendre. Vous voyez encore que nous ne supporterons pas seuls l’accroissement de son prix et que la nation trouve du moins un faible dédommagement de cette calamité momentanée dans l’augmentation de ses bénéfices avec les nations étrangères. Vous ne me verrez jamais donner mon assentiment aux mesures prohibitives qui vous seront proposées, mais lorsque j’élèverai ma voix en faveur de la liberté du commerce, ce n’est pas une liberté partielle et illusoire que je réclamerai ; j’ai prouvé que celle qu’on a sollicitée ne pouvait produire aucun avantage en ce moment. Je ne lui trouve d’ailleurs d’autre inconvénient que d’être inutile et de donner si elle était adoptée, une idée aussi désavantageuse qu’injuste des lumières de l’Assemblée en matière de commerce. La proposition qui vous est faite se réduit en un mot, à permettre la libre importation en France, d’une denrée qui ne peut y venir de nulle part. Je conclus à ce qu’elle soit écartée.

« La grande mesure qui consiste à prohiber la sortie des sucres du royaume aurait des conséquences plus funestes. Elle ne peut être envisagée sans effroi, par ceux qui ont des notions saines sur nos relations commerciales. J’ai annoncé que la France ne consomme qu’à peu près la huitième partie du sucre qu’elle reçoit de ses colonies ; elle en expédie donc annuellement les sept huitièmes pour l’étranger ; j’ajoute une seconde observation. Nous recevons le sucre de nos colonies de deux sortes : le brut qui n’a reçu que les premières préparations, et c’est presque uniquement de cette qualité que consomment les fabriques nationales, et le sucre terré qui a déjà reçu un commencement de raffinage et qui passe chez nos voisins. La valeur de cette dernière sorte est double à peu près de celle du sucre brut.

« Vous sentez maintenant qu’en prohibant la sortie de cet immense excédent de consommation :

« 1o Vous privez la nation d’une portion de revenu très considérable et très lucrative qu’on peut évaluer à plus de 30 millions par an ;

« 2o Vous lui enlevez la faculté de se libérer avantageusement des dettes qu’elle contracte chez l’étranger ; car il y a plus de profit à solder nos voisins avec du sucre qui gagne, qu’avec des assignats, qui perdent ;

« 3o Vous paralysez entièrement le commerce des ports avec vos colonies ; car un armateur se garderait d’envoyer du vin et de la farine à Saint-Domingue pour recevoir en retour du sucre dont il n’aurait plus le débouché, et sur lequel il perdrait, pour s’en défaire, une forte partie de son capital ;

« 4o Vous occasionnez dans les fortunes de vos concitoyens un bouleversement terrible, car il résulterait de la chute et du délaissement subit de cette