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tous égards. Je vous prie, Monsieur le Président, de communiquer de suite à l’Assemblée cette lettre importante pour moi. (Rires dans les tribunes.)

« Signé, Boscary, député de Paris. »

La bourgeoisie commerçante et modérée, dont Boscary était un des principaux représentants, est, si l’on me passe le mot, toute ahurie de ce soulèvement populaire. Il lui semblait en effet s’être « livrée » toute entière à la Révolution, et elle entrevoit soudain avec stupeur qu’au delà du cercle un peu étroit de ses pensées d’autres forces s’agitent. Malgré l’indignation d’une partie de l’Assemblée, les tribunes couvrirent de huées et coupèrent de quolibets la lettre du banquier révolutionnaire. Plusieurs députés voulaient qu’on passât à l’ordre du jour sur la lettre de Boscary, comme sur celle du mystérieux et ironique Delbé ; mais l’Assemblée renvoya la pétition au pouvoir exécutif. Curieuses escarmouches entre ces deux fractions du Tiers-État, qui ont fait ensemble la Révolution, qui souvent encore la sauveront ensemble, mais qui commencent à se heurter l’une l’autre, et à prendre figure de classes hostiles !

Au problème qui lui était posé alors sur le prix des denrées coloniales, la Législative n’avait pas de solution. Son Comité du commerce songea un moment à lui proposer la suppression du droit de 9 livres par quintal, qui frappait le sucre étranger à son entrée en France, mais il reconnut vite que ce serait inutile ; car la France, par l’abondance de sa production, dominant le marché du sucre, les cours du sucre en France ne tarderaient pas à régler les cours du sucre dans le monde entier.

Dès lors les étrangers ne pourraient pas importer du sucre en France, à un cours inférieur au cours même de France, et aucune baisse de prix ne se produirait. Pouvait-on d’autre part, interdire l’exportation des sucres de France ? Mais c’est avec ses sucres exportés que la France payait la plus grande partie des marchandises qu’elle tirait du dehors. Le Comité concluait donc qu’il n’y avait rien à faire, qu’il n’y avait par conséquent pas à délibérer sur la question proposée. L’Assemblée murmura, mais nul n’essaya d’indiquer une solution précise. Ducos, le brillant député de Bordeaux, effrayé à l’idée que des mesures de prohibition ou de restriction commerciales pourraient être proposées qui ruineraient nos ports, les combattit avec un talent remarquable, sans rien ajouter au fond à la thèse du Comité. Mais jamais avec plus d’élégance et de netteté ne fut expliqué le mécanisme international du commerce du sucre. C’est en ces discours si substantiels et si lumineux que se révèle la forte éducation économique et positive de la bourgeoisie du xviiie siècle, sur laquelle Taine s’est si lourdement trompé. « Trois moyens, dit-il, ont été proposés à cette Assemblée pour opérer une réduction du prix des sucres :

« Le premier est de permettre aux étrangers l’introduction du sucre dans nos ports ; le second d’en protéger la sortie hors du royaume ; le troisième