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« Ils se retirèrent bien persuadés de cette vérité et tout fut calme. Ils ne se firent point délivrer, comme on vous l’a dit, du sucre à 22 sous la livre. Le reste de la soirée se passa dans le plus grand calme : on transféra de l’Hôtel de la Force les prisonniers pour dettes à Sainte-Pélagie ; le tout dans le plus grand ordre.

« Nous ne fûmes pas néanmoins sans inquiétude pour le lendemain dimanche ; ce jour, dans des moments de fermentation, est ordinairement un des plus difficiles à passer. M. le Commandant général prit les dispositions les plus sages. Il distribua les forces dans les endroits qui paraissaient les plus menacés. Cette journée fut beaucoup plus paisible que nous ne pouvions l’espérer.

« Il y eut néanmoins un épicier dans la rue du Faubourg Saint-Denis qui, intimidé par une grande affluence de monde rassemblé autour de sa boutique, distribua une certaine quantité de sucre à 24 et 26 sous la livre.

« Nous avions la consolation de croire que le lendemain tout serait apaisé : quel fut notre étonnement, quelle fut surtout notre inquiétude lorsqu’entre 10 et 11 heures du matin des lettres arrivèrent de toutes parts qui nous annonçaient des groupes et des rassemblements nombreux dans différents quartiers ? Un de ces rassemblements se porta même à la mairie.

« Il était parti de la section des Gravilliers et suivait un cavalier d’ordonnance, porteur d’une lettre du commissaire de cette section. M. le Maire se présenta à ces citoyens et parvint aisément à leur faire entendre le langage de la raison et de la justice.

« Il leur représenta que c’étaient les ennemis de la chose publique qui cherchaient à occasionner un grand trouble, à opposer les citoyens aux citoyens, et surtout à mettre la garde nationale aux prises avec les habitants ; qu’il fallait éviter ce piège en se conduisant avec sagesse, et en recourant à la voie que la loi ouvrait à tous les citoyens, celle de la pétition. Ils se retirèrent satisfaits et promirent de porter la paix parmi ceux qui les avaient députés.

« M. le Commandant général de la garde nationale arrivait en même temps qu’eux. Il fit part à M. le Maire des avis multiples qu’il avait requis de son côté, ils se concertèrent ensemble, craignirent que la chose ne devint très sérieuse et qu’on ne fût obligé d’avoir recours à de grandes mesures. M. le Maire convoqua à l’instant et extraordinairement le conseil municipal ; déjà, plusieurs membres étaient à leur poste, et il se rendit avec M. le Commandant au directoire du département dont les membres furent également convoqués ; là, on discuta les différents partis qu’on pourrait prendre à raison des circonstances. Deux heures entières se passèrent sans recevoir des nouvelles fâcheuses, et déjà nous jouissions de la satisfaction de penser que le calme était rétabli ; mais, bientôt, plusieurs officiers de la garde nationale se présentèrent pour nous faire des récits affligeants.