Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.

denrées dans des dépôts clandestins. Il faudra que la marchandise reste toujours, pour ainsi dire, étalée et à la disposition du public. C’est, sous des formes réservées, la théorie de la vente forcée. Mais la vente forcée implique la détermination légale du prix de vente ; et voilà pourquoi nous sommes dès ce jour sur la voie du maximum.

Que pouvait l’Assemblée ? Elle se sentait en face d’un troublant problème qui dépassait, à cette heure, sa force d’action. Guadet, qui présidait la séance, répondit aux pétitionnaires avec une bienveillance empressée et vague, et le maire de Paris fut appelé à la barre pour rendre compte de la situation de la capitale. Il s’appliqua à amortir les couleurs, à estomper les effets. Il voulait rassurer les esprits et en même temps laisser à l’Assemblée législative toute la responsabilité.

« Depuis quelques jours, dit-il, un mouvement sourd se faisait sentir dans Paris. Le peuple témoignait ouvertement son mécontentement sur la hausse considérable du sucre et de plusieurs autres denrées. Il s’assemblait en groupe dans les lieux publics et tout annonçait une explosion prochaine. Le vendredi (c’est-à-dire le 20 janvier) les murmures et les propos allaient croissant ; plusieurs commissaires de police commençaient même à réclamer la force publique. Dans la nuit de vendredi au samedi, le feu s’est manifesté à l’hôtel de la Force. Cet événement répandit une grande alarme… On est encore incertain de savoir si cet accident est dû à un hasard ou à quelque dessein prémédité… Ce que nous ne pouvons passer sous silence c’est le zèle infatigable de M. le Commandant général de la garde nationale… Nous devons encore vous instruire, messieurs, que nul bâtiment étranger à ceux de la Force n’a été atteint par les flammes, et celui qui vous a dit que le feu avait consumé des magasins remplis de sucre a été induit en erreur.

« À l’instant même où cet événement fâcheux nous occupait tout entier, on semait, comme à plaisir, les bruits les plus alarmants : on nous annonçait que les mêmes désastres avaient lieu à la Conciergerie, au Châtelet, à Bicêtre… Ce qui était plus réel, c’était un rassemblement au faubourg Saint-Marceau autour d’un magasin rempli de sucre ; M. le Maire de Paris et M. le Procureur général syndic s’y rendirent. Ils trouvèrent un nombre assez considérable de citoyens et de citoyennes. Après quelques représentations, ils les engagèrent à choisir douze d’entre eux pour s’expliquer sur la demande qu’ils avaient à former, ce qu’ils firent à l’instant. Et ici, nous devons dire, pour l’honneur de ces citoyens, qu’ils commencèrent par nous déclarer qu’ils n’étaient pas venus pour piller. Ils nous le répétèrent avec cette inquiétude de la probité, qui craignait qu’on ne pût les en soupçonner.

« Ils nous ajoutèrent que le sucre, que plusieurs autres denrées s’étaient subitement élevés à un prix que le pauvre ne pouvait plus atteindre, qu’il y avait là-dessous des manœuvres coupables et qu’il fallait absolument faire baisser ce prix.