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prix exorbitants… Il est temps de rassurer cette nombreuse partie de la population qui reçoit sa subsistance des colonies et qui, à son tour, les a fait longtemps prospérer ; il est temps que Saint-Domingue puisse compter sur des expéditions régulières et bien préférables à ces liaisons passagères, tantôt rares, tantôt fréquentes, qui aujourd’hui procureront une grande abondance et qui dans peu laisseraient la colonie dans la disette. Hâtons-nous de circonscrire le commerce étranger dans ses anciennes limites ; faisons, tandis qu’il en est temps encore, cesser des habitudes qui ne pourraient se prolonger qu’au détriment de la fortune publique et par la ruine d’une multitude de Français. »

En somme, Mathieu Dumas ne paraît pas croire que la force productive de la colonie et sa puissance d’achat soient sérieusement atteintes. Il craint surtout que le besoin urgent où était Saint-Domingue de grains, d’approvisionnements et de matériaux de construction n’encourage les étrangers, Anglais ou Américains, à y apporter leurs produits, et qu’ainsi se créent des habitudes défavorables au commerce français. L’Assemblée essaya de parer à ce danger par l’article 12 du décret :

« L’Assemblée nationale, désirant venir au secours de la colonie de Saint-Domingue, met à la disposition du ministre de la marine une somme de six millions pour y faire parvenir des subsistances, des matériaux de construction, des animaux et des instruments aratoires. »

Plus tard, le ministre de la marine fut autorisé à prélever ces six millions sur les versements que faisaient les États-Unis, qui étaient encore à ce moment débiteurs de la France : et il est curieux de suivre, dans la correspondance du représentant américain, Gouverneur Morris, les négociations sur cet objet. Les ministres français pressaient les États-Unis de hâter le paiement. Morris proposait des combinaisons qui auraient assuré aux États-Unis « l’avantage de voir employer de fortes sommes à l’achat d’objets qui soient les produits de notre pays et l’industrie de ses habitants laborieux ». (21 décembre 1792.)

Je crois donc pouvoir conclure que les troubles de Saint-Domingue, s’ils semèrent l’inquiétude et blessèrent gravement quelques intérêts, ne suffirent pas à arrêter, dans l’année 1792, l’activité économique de la France. Et l’on est moins surpris de constater que, dans cette année même, l’essor des manufactures coïncide avec les désordres des colonies. Il n’y eut pas arrêt des transactions.

Mais un moment, dans le mois de janvier 1792, les affaires coloniales eurent leur répercussion sur le prix du sucre. Il monta rapidement d’une manière extraordinaire, de 30 sous à 3 livres. Il doubla en quelques jours : le peuple de Paris, exaspéré, se souleva, pilla magasins et boutiques. Devant la Révolution qui, depuis deux années, semblait ne plus connaître ce péril, la question des subsistances se posait de nouveau d’une manière aiguë. La