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chargea la mémoire de cette infortunée victime de la fureur des colons blancs ? »

Ainsi les Girondins se flattaient, sans doute avec quelque exagération, d’avoir amené à eux, dans cette question, presque toute la bourgeoisie des ports. Ils avaient réussi en tout cas à la diviser.

Sur le second point, après avoir démontré, non sans quelque subtilité, que l’Assemblée constituante, quand elle rendit son décret du 24 septembre, avait épuisé son pouvoir constituant, puisqu’elle avait déjà déclaré elle-même que ses travaux étaient terminés, Guadet s’écrie : « Je n’insisterai pas, Messieurs, sur ce que le principe que je combats ici a d’offensant pour la souveraineté du peuple ; je me contenterai d’observer que s’il est d’un bon citoyen de faire éclater son respect et son amour pour la Constitution, il n’est pas d’un homme libre d’afficher l’idôlatrie pour le corps constituant, et de prétendre que, semblable à Dieu, il conserve sa toute-puissance après avoir fini son œuvre. » (Applaudissements.)

Parole remarquable : car pour la première fois, je crois, la souveraineté du peuple était mise au-dessus de la Constitution de 1791. « L’idolâtrie » pour le livre sacré que les jeunes gens et les vieillards avaient porté processionnellement à la Législative est atteinte. Et en vérité, l’Assemblée constituante, en la question des colonies, avait été si imprévoyante et si versatile, que la France ne pouvait être liée à jamais par le dernier de ses décrets contradictoires. Malgré d’habiles répliques de Viénot-Vaublanc et de Mathieu Dumas, l’Assemblée adopta la motion girondine, à la presque unanimité. Gensonné en donna une dernière lecture le 24 mars 1792.

« L’Assemblée nationale, considérant que les ennemis de la chose publique ont profité de ce genre de discorde pour livrer les colonies au danger d’une subversion totale, en soulevant les ateliers, en désorganisant la force publique, et en divisant les citoyens dont les efforts réunis pouvaient seuls préserver leurs propriétés des horreurs du pillage et de l’incendie ;

« Que cet odieux complot paraît lié aux projets de conspiration qu’on a formés contre la nation française et qui devaient éclater à la fois dans les deux hémisphères ;

« Considérant qu’elle a lieu d’espérer de l’amour de tous les colons pour leur patrie qu’oubliant les causes de leur désunion, et les torts respectifs qui en ont été la suite, ils se livreront sans réserve à la douceur d’une réunion franche et sincère qui peut seule prévenir les troubles dont ils ont tous été également victimes, et les faire jouir des avantages d’une paix solide et durable :

« Décrète qu’il y a urgence. L’Assemblée nationale reconnaît et déclare que les hommes de couleur et nègres libres doivent jouir ainsi que les colons blancs de l’égalité des droits politiques ; et après avoir décidé l’urgence décrète ce qui suit :