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lié à leur conservation, mais parce qu’il l’est au moins en ce moment ; mais parce qu’après les maux inséparables d’une révolution, au milieu des efforts qu’on fait de toutes parts pour la faire rétrograder, et des dangers de plus d’un genre qui nous menacent, la perte subite de nos colonies pourrait être l’époque de la perte de notre liberté. »

« Ainsi, me dira-t-on, vous sacrifiez les principes à l’intérêt ; vous mettez la politique avant la justice… Ah ! Messieurs, loin de moi cette idée : la politique vient des hommes et la justice vient de Dieu ; j’espère ne l’oublier jamais. » (Applaudissements.)

Notez au passage ce trait de déisme qu’on n’a pas relevé, je crois, et que nous rappellerons lorsque bientôt Guadet accusera violemment Robespierre pour avoir prononcé aux Jacobins le mot de Providence.

Je me hâte et ne puis donner qu’une bien faible idée du merveilleux discours de Guadet, si pressant, si varié de ton et où une argumentation coupante et agressive est secondée par une vive émotion humaine. Je ne relève plus que deux points, ce qu’il dit de l’opinion des ports, et ce qu’il dit du prétendu caractère constitutionnel et irrévocable du décret du 24 septembre : « On m’opposera peut-être le vœu contraire qu’ont exprimé plusieurs villes de commerce et on me répétera ce que disait M. Barnave, le 24 septembre, que l’intérêt des commerçants est ici l’intérêt de la France elle-même. Mais parmi ces villes de commerce on voudra bien ne pas comprendre la plus importante de toutes, celle de Bordeaux, qui n’a cessé de réclamer, en faveur des hommes de couleur libres, l’exercice des droits de citoyen, et qui, fière de cette conduite autant que des injures qu’elle lui a méritées de la part de M. Marthe de Gouy, ne l’a jamais démentie et ne la démentira jamais. Parmi les villes de commerce dont le vœu est contraire à la révocation du décret du 24 septembre, on voudra bien ne pas comprendre aussi celle de Nantes qui, éclairée enfin sur les véritables troubles de Saint-Domingue, et sur les moyens de les arrêter, vient, par une pétition signée de 600 citoyens, d’indiquer, comme un de ces moyens, la révocation du décret du 24 septembre. »

« Que reste-t-il donc ? Le Havre. Or, il est bon de savoir que cette place n’a de relations commerciales dans nos colonies qu’avec les blancs, qu’elle a d’ailleurs des maisons de commerce établies et qu’ainsi la cause des colons blancs est en quelque sorte la sienne. »

« Eh ! sans cela, Messieurs, concevrait-on l’acharnement dont les commerçants de cette ville ont fait preuve contre les hommes de couleur ? Concevrait-on que cette ville où il y a d’ailleurs du patriotisme, eût pu devenir un foyer de conjuration contre les principes d’humanité et de justice, qui dirigèrent l’Assemblée nationale constituante, à l’égard des hommes de couleur, jusqu’à l’époque du 18 mai ? Concevrait-on la joie barbare qu’elle fit éclater à la nouvelle du supplice d’Ogé ? Concevrait-on les malédictions dont elle