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était la puissance des intérêts propriétaires, tel était aussi, dans la Législative à ses débuts, le respect presque superstitieux de l’œuvre de la Constituante, que Vergniaud et Guadet durent renoncer à leur motion. Il fallut que Gensonné, député de Bordeaux, l’atténuât au point de lui enlever toute vertu, en demandant non pas que les accords fussent étendus à toute l’île, mais seulement qu’on empêchât les atteintes qui y pouvaient être portées. Voici ce pâle et inefficace décret, adopté le 7 décembre :

« L’Assemblée nationale, considérant que l’union entre les blancs et les hommes de couleur libres a contribué principalement à arrêter la révolte des nègres de Saint-Domingue ; que cette union a donné lieu à différents accords entre les blancs et les hommes de couleur et à divers arrêtés pris à l’égard des hommes de couleur les 20 et 25 septembre dernier par l’assemblée coloniale séant au Cap.

« Décrète que le roi sera invité à donner des ordres afin que les forces nationales destinées pour Saint-Domingue ne puissent être employées que pour réprimer la révolte des noirs, sans qu’elles puissent agir directement ou indirectement pour protéger ou favoriser les atteintes qui pourraient être portées à l’état des hommes de couleur libres, tel qu’il a été fixé à Saint-Domingue, à l’époque du 25 septembre dernier. »

Mais l’assemblée coloniale du Cap n’avait nullement reconnu le droit politique des hommes de couleur libres. Elle leur avait seulement donné le droit de s’assembler pour faire des pétitions et elle avait « annoncé son intention d’améliorer leur situation ». C’était misérablement équivoque, et le décret de la Législative, pauvre reflet incertain de ces hypocrisies coloniales, ne pouvait rien pour apaiser l’île.

Les nouvelles parvenues à l’Assemblée en décembre, janvier, février, mars, accrurent l’émotion publique ; les troubles s’étendaient : les hommes de couleur libres, exaspérés, peu confiants dans les concordats précaires conclus en quelques points de l’île, s’unissaient aux noirs soulevés ou même les soulevaient. Et il semblait même que là où les hommes de couleur libres restaient calmes, les esclaves noirs ne se soulevaient pas. Il devenait donc tous les jours plus évident que s’il restait une chance d’apaiser l’île, c’était de ramener les mulâtres en leur restituant les droits politiques.

En vain les modérés, les représentants des colons blancs s’obstinaient-ils dans la résistance. La nécessité devenait plus pressante tous les jours : d’ailleurs, l’influence de la Gironde grandissait, et dans la deuxième moitié de mars, juste au moment où le ministère girondin arrivait au pouvoir, le débat décisif s’engagea. C’est Guadet qui, avec une éloquence incisive et véhémente, soutint que le décret du 24 septembre rendu par la Constituante ne faisait pas partie de la Constitution, qu’on pouvait donc le modifier, et que la politique le conseillait.

Comme pour bien marquer, en cette question si disputée des colonies,