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pourront être échangés de gré à gré, pour tel temps déterminé entre les maîtres contractants ; et si l’échange ne peut s’effectuer, le nègre sera détenu prisonnier, nourri aux dépens de son maître…

« Art. 6. — Les nègres qui ne pourront plus travailler à cause d’infirmité ou de vieillesse, continueront à recevoir leur subsistance comme à l’ordinaire, et les maîtres qui s’y refuseraient, contraints de les nourrir à l’hospice de l’hôpital où les nègres se présenteront.

« Art. 7. — Les esclaves qui auront des moyens suffisants pour se racheter, le pourront dès à présent s’ils le demandent. Le prix du rachat sera fixé au prix moyen des ventes de traite faites sur les lieux dans le courant d’une année. L’acte d’affranchissement sera délivré sans frais et sans perception d’aucuns droits.

« Art. 8. — Les enfants des nègres esclaves seront désormais libres en naissant. Les maîtres pourront en exiger les services proportionnés à leur âge jusqu’à douze ans, moyennant la nourriture, et après cette époque, les enfants nègres pourront exiger deux sols par jour en sus jusqu’à dix-sept ans révolus, s’ils veulent rester auprès de leurs maîtres

« Art. 10. — Les nègres qui sont actuellement esclaves depuis quatre ans avec un maître, seront libres et affranchis dans l’espace de quatre ans à dater de la publication de la présente loi. Les nègres nouveaux seront libres et affranchis sous les mêmes obligations après huit ans à compter de leur premier achat de traite. À cette époque, ils seront obligés de travailler ou à leur propre compte ou à la journée. Le prix de la journée sera de 6 francs argent des colonies avec la nourriture. Dans les villes, le prix de la journée ne sera pas fixé, mais les municipalités seront tenues de limiter le nombre des nègres de fatigue en sorte que le commerce ne souffre pas et que les nègres de la campagne ne refluent dans les villes. »

Il est inutile de discuter la valeur de ce plan, puisque l’Assemblée n’en délibéra même pas. Mais c’est le premier effort législatif précis pour résoudre le problème de l’esclavage, et si dédaigné et presque suspect qu’il ait été, il garde pour l’histoire une haute valeur.

Il y avait accord des partis, à la Législative, pour écarter la question des esclaves noirs. Mais même le projet de Guadet et de Vergniaud, si modéré pourtant, qui prenait acte du concordat entre les hommes de couleur libres et les colons blancs et en recommandait l’extension, se heurtait à la résistance de la majorité. Les modérés alléguaient que la Constituante, par son décret de septembre qui avait force constitutionnelle, avait aboli les décrets antérieurs favorables aux hommes de couleur, et remis aux assemblées coloniales le soin de décider souverainement. Intervenir pour donner une force quasi-légale à un concordat qui donnait aux hommes de couleur libres les droits politiques, c’était se substituer aux assemblées coloniales, c’était briser ou fausser le décret de la Constituante : c’était violer la Constitution elle-même. Et telle