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tion celui d’entre nous qui a voulu prononcer un seul mot en faveur des nègres ?… Le sort affreux des nègres esclaves n’est pas assez connu, et ceux qui en ont quelque idée pensent sans doute qu’il n’est guère possible d’y porter du soulagement… Il importe de détromper sur la prétendue impossibilité de diminuer, sans inconvénients, les rigueurs excessives de l’esclavage. »

Et le député des Bouches-du-Rhône, se laissant aller à ses souvenirs, expose quelques-unes des atrocités que sans doute il entendit, dès son enfance, conter aux navigateurs.

« Déchirés par lambeaux, on en a vu mille fois expirer sous le fouet ou se détruire eux-mêmes en frappant de la tête sur la pierre où ils étaient enchaînés. Pouvez-vous croire que des femmes prêtes à accoucher ne sont pas épargnées ? Pouvez-vous croire qu’après huit ans de travail, l’homme le plus robuste, devenu perclus de ses forces, est alors impitoyablement renvoyé, réduit à se nourrir de souris et de bêtes mortes ? Souvent le voyageur a rencontré sur sa route cette scène effroyable d’un cadavre qui dévore un autre cadavre. Vous nommerai-je deux frères fameux, riches colons du Port-au-Prince, qui ont fait périr plusieurs de leurs nègres dans le feu, et un entre autres dont le crime était d’avoir trop salé un ragoût ? Vous en nommerai-je quelques-uns de la Martinique qui naguère en ont fait brûler sur des bûchers ? La Guadeloupe en a produit un qui faisait périr lentement les siens en leur faisant avaler de la cendre brûlante ; et quand parfois ils brisent leurs chaînes, vous attendriez-vous d’apprendre qu’on va à la chasse de ces malheureux fugitifs comme on va à la chasse des bêtes fauves, qu’on les relance avec des chiens et qu’après les avoir terrassés on porte leur tête en triomphe à la ville ?… C’est à ce prix que sont cultivées les riches productions destinées à nos délices. »

Blangilly proposait un plan d’émancipation graduelle et de garanties qu’il faut citer, car c’est le premier, si je ne me trompe, qui ait été soumis à une Assemblée française, et à ce titre, quoiqu’il n’ait pas été discuté, quoi-qu’il n’ait même pas été porté à la tribune, mais communiqué seulement par la voie de l’impression, quoiqu’il parût alors une tentative à demi scandaleuse qu’il fallait tenir dans l’ombre, il est le prélude des lois d’affranchissement, et il a à ce titre une véritable importance historique.

« Art. 1er. — Dans toute l’étendue des possessions françaises, les colons ne pourront, sous aucun prétexte, maltraiter de coups leurs esclaves, et la disposition du Code noir qui limite le nombre des coups de fouet est abolie.

« Art. 2. — Le colon qui aura maltraité de coups son esclave perdra tout pouvoir sur lui. Sera le colon convaincu de son délit quand six témoins autres que ses esclaves déposeront le fait en témoignage judiciaire. Le tribunal de la police recevra la plainte verbale de l’esclave. Il jugera trois jours après l’audition des témoins et prononcera l’affranchissement s’il y a lieu.