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crainte de perdre leurs fonds, ils soutenaient aveuglément les prétentions de leurs débiteurs.

La Gironde s’efforça de démontrer aux capitalistes de Bordeaux qu’ils avaient mieux à faire, et que leur véritable intérêt était d’organiser aux colonies une procédure légale permettant aux créanciers de recouvrer aisément leur créance. Quelques membres de la Société des Amis de la Constitution de Bordeaux, soit par conviction, soit pour aider les députés girondins à sortir d’une situation difficile, écrivirent à l’Assemblée une lettre en ce sens et Brissot se hâta d’en triompher le 3 décembre :

« Quel que soit le parti que vous preniez, dit-il, le plus pressant est sans doute d’inspirer la confiance aux commerçants et aux armateurs qui communiquent directement avec les colonies et qui peuvent leur faire des avances salutaires. Ainsi, vous ne pourrez inspirer cette confiance qu’en détruisant un vice radical dans le régime des colonies, vice qui nécessairement entraîne beaucoup de désordre et de défiance dans les capitalistes, et arrête la rapidité des défrichements. Toutes les plantations pour être défrichées ont exigé des avances de la métropole, et cependant les plantations ne peuvent être saisies par le négociant pour le payement de ses avances, lorsqu’il demande son remboursement à un planteur infidèle ou de mauvaise volonté. Le créancier est actuellement à sa merci ; la crainte du despotisme de son débiteur l’engage à de nouvelles avances, pour ne pas perdre celles qu’il a déjà faites, et celui-ci, sûr de donner la loi, ne met pas de bornes à ses demandes, toujours accompagnées de la menace de ruiner son créancier. De là, cette indépendance si absolue des colons de toute loi, de tout principe, de toute moralité : de là, leur luxe effréné, leur fantaisie sans bornes, en un mot, leur conduite en tout semblable à celle de ces riches dissipateurs qu’une éducation mauvaise a livrés à tous les vices, de là aussi les rapports dispendieux entre eux et leurs créanciers, qui renchérissent aux planteurs les choses dont ils ont besoin, tant pour faire prospérer leurs établissements que pour leur consommation journalière.

« Des hommes entourés d’esclaves dès leur berceau, des hommes qu’aucun lien ne retient peuvent-ils apprendre les règles et les devoirs d’une sage économie ? Et celui qui leur prête peut-il prendre d’autres précautions que par des conditions qui lui servent de primes d’assurances contre un débiteur toujours menacé ? Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce fardeau toujours accablant de dettes, qui fait sans cesse désirer aux colons un changement d’état, et qui met leurs créanciers dans une appréhension continuelle. »

« C’est moins la perte du commerce et des colonies que les capitalistes redoutent (car ils portent sur des conventions solidement fondées) qu’une banqueroute qui, tout à la fois, ferait disparaître des capitaux considérables et suspendrait pour un long temps leurs rapports habituels. Et voilà, Messieurs, le secret de la coalition qui a existé si longtemps entre les colons et