Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« La seconde que cette présomption peut être détruite par l’effet d’une preuve contraire, mais que cette preuve contraire est à la charge du redevable et que, si le redevable ne peut pas y parvenir, la présomption légale reprend toute sa force et le condamne à continuer le payement… »

C’était la condamnation des paysans à perpétuité. Car comment leur eût-il été possible de fournir la preuve contraire ? La preuve négative est toujours malaisée à administrer. Le seigneur, lui, était dispensé de fournir la preuve positive. Il était dispensé de produire le titre primitif en vertu duquel ses ascendants avaient concédé un fonds de terre, moyennant une redevance perpétuelle et féodale.

Pour le seigneur, la possession valait titre. Comment le paysan pourra-t-il renverser ce titre ? Comment pourra-t-il établir qu’à l’origine, dans le lointain obscur et profond des siècles, ses pauvres aïeux n’avaient pas reçu ces fonds de terre du seigneur, mais qu’ils avaient été astreints à une redevance féodale, soit parce que le seigneur leur avait avancé de l’argent et avait abusé de sa qualité de créancier pour les lier d’une chaîne de vassalité indéfinie, soit simplement parce que le seigneur avait usé envers eux de violence et de menaces, soit enfin parce qu’ils étaient esclaves et serfs et que le droit féodal est la rançon de leur liberté ?

Demander aux paysans de remonter ainsi le sombre cours de l’histoire, c’est demander aux cailloux, lentement usés par les eaux, la source inconnue du torrent.

Aujourd’hui encore, qu’il s’agisse de Fustel de Coulange ou de Waitz, les érudits ne sont point d’accord sur les origines mêmes du système féodal. Est-il une sorte de consolidation foncière des hiérarchies militaires ? Est-il une transformation du grand domaine gallo-romain ? L’histoire hésite : Comment les paysans auraient-ils pu s’orienter ? Comment auraient-ils pu démontrer que leurs ancêtres avaient été pleinement serfs et que c’est uniquement pour se libérer de ce servage qu’ils avaient consenti le payement à perpétuité de redevances foncières ?

Et pourtant, c’est cette preuve qu’on exige de lui pour le débarrasser de son séculaire fardeau.

« Lorsque, par le résultat de la preuve entreprise par le redevable, il paraît que le droit n’est le prix ni d’une concession de fonds ni d’une somme d’argent anciennement reçue, mais le seul fruit de la violence ou de l’usurpation, ou, ce qui revient au même, le rachat d’une ancienne servitude purement personnelle, il n’y a nul doute qu’il ne doive être aboli purement et simplement. »

Encore une fois, subordonner à une preuve pareille la libération du paysan c’était une dérision.

Et pourtant, il semble que l’Assemblée, au moment où elle accable le cultivateur, passait tout à côté du principe qui aurait pu le délivrer. Car,